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Londres, dès le début de l’insurrection américaine, plaidait pour les insurgens auprès de Louis XVI et de ses ministres, avec quelle souplesse d’argumentation il travaillait sans relâche à démontrer que le moment était venu de secourir secrètement les Américains. Nous ne dirons pas avec l’ami Gudin qu’en agissant ainsi, Beaumarchais ne songeait absolument qu’à la gloire de servir une cause juste en même temps que les intérêts de son pays. L’auteur du Barbier de Séville aimait la gloire incontestablement, mais il faudrait être doué de la candeur qui distingue l’honnête Gudin pour ne pas reconnaître qu’il aimait aussi les affaires, qu’il ne détestait pas la bonne, la douce, la trois, quatre, six, dix fois agréable recette, comme dit Figaro. Les citoyens des États-Unis, qui jusqu’ici du moins ne passent pas pour le peuple le plus chevaleresque dans les questions de make money, ne sauraient faire un crime à un particulier de n’avoir point songé, pendant les trois années les plus laborieuses peut-être de sa carrière si agitée, à leur consacrer toutes ses facultés, à leur procurer, au milieu d’obstacles de toute nature, les moyens de soutenir une campagne décisive qui entraîna l’alliance déclarée de la France et par suite le triomphe de leur indépendance, le tout pour l’unique plaisir de se voir qualifié par Arthur Lee d’aventurier, et par le congrès d’homme généreux qui a gagné l’estime d’une république naissante et mérité les applaudissemens du Nouveau-Monde. Beaumarchais tenait sans doute à mériter les applaudissemens du Nouveau-Monde, mais il tenait aussi à ce que ses opérations fussent à la fois profitables au Nouveau-Monde et à lui. Cependant la première partie de sa correspondance avec Louis XVI et M. de Vergennes prouve qu’il ne songeait pas d’abord à se lancer dans une entreprise aussi considérable et aussi chanceuse que celle de se faire à ses risques et périls le fournisseur direct des colonies insurgées, même avec une subvention du gouvernement. Il demandait au ministère français une somme de 2 ou 3 millions, en se chargeant de la transformer en fournitures et de remettre lui-même ces fournitures, avec une commission apparemment, aux agens de l’Amérique. Il avait communiqué cette première idée à un Américain qui se trouvait à Londres à la fin de 1775, et qu’il est nécessaire de bien faire connaître à cause du rôle important qu’il va jouer dans la suite de cette affaire. C’était un Virginien nommé Arthur Lee, encore jeune et inconnu, qui étudiait le droit à Londres au moment où éclata la révolution américaine, dont les frères avaient pris une part active à cette révolution, qui fut depuis membre de la députation américaine à Paris et ensuite membre du congrès. Un écrivain des États-Unis, le seul qui à ma connaissance ait esquissé avec exactitude les rapports de Beaumarchais et d’Arthur Lee, M. Jared Sparks, peint ainsi le caractère de ce dernier :