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bien entreprenans et bien hardis. Tant que l’Espagne aura, comme aujourd’hui, une armée et une flotte pour contenir Cuba, Cuba ne se soulèvera pas facilement ; mais on peut affirmer que la force est le seul lien qui la rattache à la métropole. Or ce n’est pas là une garantie d’avenir. Cette situation a pour l’Espagne un grave inconvénient ; tous les revenus qu’elle tire de sa colonie sont employés maintenant à l’entretien de l’année et de la flotte. Que l’Espagne ait besoin de ses soldats ou de ses marins dans une lutte européenne, et Cuba lui échappe sans retour. Le parti violent prévaut aujourd’hui dans les conseils de l’Espagne, les passions sont excitées au plus haut degré contre la colonie. J’ai entendu des Espagnols déclarer que c’était avec elle une guerre à mort, qu’il n’y avait rien à faire et rien à accorder, qu’on allait interdire, aux habitans de Cuba d’envoyer leurs fils étudier aux États-Unis, etc. C’est une politique désespérée. On ne se maintient pas longtemps par ces moyens extrêmes. D’autre part, je crois savoir de bonne source que le gouverneur actuel, le général Concha, qui a si vigoureusement anéanti les bandes de Lopez, réprimé les tentatives d’émeute, et par là conservé Cuba à l’Espagne, est menacé d’un rappel, et cela parce que cet homme si ferme est en même temps un homme sage, parce qu’il pense qu’il faudrait profiter du moment où l’on est victorieux et fort pour faire aux créoles quelques concessions qui pourraient les ramener[1].

Les États-Unis ne renoncent point à s’emparer de Cuba, cette île magnifique qui est à leurs portes et que touchent leurs bateaux à vapeur en allant de la Nouvelle-Orléans à New-York. Les états du sud aimeraient fort qu’un état à esclaves de plus fût introduit dans l’Union ; aussi les associations pour préparer la complète de Cuba se multiplient et s’étendent chaque jour. La société de l’Etoile solitaire est organisée dans toutes les grandes villes des États-Unis, tient des meetings publics et réclame hautement l’annexion de l’île espagnole. Les argumens qui se débitent ou s’écrivent à ce sujet sont quelquefois incroyables : tantôt on insiste sur la nécessité d’avoir un pays dont le climat soit doux pour l’usage des poitrinaires, tantôt on soutient que Cuba est une partie intégrante du continent qui a été accidentellement détachée de la Floride par le gulfstream. À ce compte, la France, qui, aux époques antédiluviennes, tenait probablement à l’Angleterre, pourrait, au nom de la géologie, en revendiquer la possession ! Jusqu’ici, ces argumens n’ont pas persuadé le gouvernement des États-Unis, et il ne s’est point prêté aux plans d’invasion ; mais en supposant que l’honnêteté politique soit toujours représentée dans la présidence américaine, ce dont je ne voudrais

  1. Depuis que ces lignes ont été écrites, le général Concha a été destitué brutalement.