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intimes, combien en un mot, dans une société où chacun vivait de son labeur, où les privilèges héréditaires étaient inconnus, il faudrait que l’administration commit de fautes et d’excès pour soulever contre elle l’indignation publique. Le gouverneur de Hong-kong voulut cependant être fixé sur le degré de confiance qu’il devait accorder à ces vagues rumeurs. Il expédia dans le golfe de Pe-tche-li son secrétaire, M. Johnstone, qui s’embarqua sur le navire à vapeur le Reynard. La mission de M. Johnstone avait, dit-on, pour but ostensible de complimenter le jeune empereur sur son avènement au trône, pour objet réel de solliciter l’ouverture d’un nouveau port plus rapproché que Shang-hai de Tien-tsin. Cette tentative de M. Bonham pour engager une correspondance directe avec la cour de Pe-king n’obtint même pas du gouvernement chinois l’honneur d’une réponse.

Il faudrait avoir des siècles devant soi pour pouvoir se flatter de voir aboutir la moindre affaire dans l’extrême Orient. Tout marche à cette extrémité du monde avec une lenteur incroyable. Depuis notre arrivée sur les côtes de Chine, au mois de janvier 1848, nous n’avions cessé de nous croire à la veille d’une crise décisive. Les mois s’étaient écoulés, les complications s’étaient évanouies, et le Céleste Empire avait continué à se mouvoir dans son orbe accoutumé. Un nouveau règne pouvait nous promettre l’intérêt d’une phase encore inconnue : les tendances libérales d’un réformateur allaient enfin triompher, si l’on en croyait certaines imaginations enthousiastes ; c’était au contraire le rapide déclin de l’empire qui devait, suivant une version plus probable, signaler l’avènement d’un nouvel Augustule. Toutes ces prédictions nous trouvèrent incrédules ou indifférens. D’autres pensées occupaient déjà notre esprit, car nous venions de recevoir l’ordre de déposer entre les mains de M. Forth-Rouen les archives de la station et d’opérer notre retour en France en doublant le cap Horn, après avoir touché aux îles Sandwich et à Taïti.

Je n’essaierai point de retracer la joie que cette nouvelle répandit à bord de la corvette. Les deux mers qui nous séparaient des rivages de l’Europe n’étaient plus à nos yeux qu’un détroit à franchir. Il nous semblait que le jour où nous aurions quitté la rade de Macao, l’espace allait s’effacer rapidement devant nous. Une station dont on ignore le terme, c’est presqu’un exil : dès qu’on nous ouvrait le chemin du port, nous n’étions plus des exilés ; nous redevenions de joyeux et confians voyageurs.

Nos préparatifs de départ furent bientôt terminés ; mais nous voulûmes visiter une dernière fois Hong-kong et Canton. Notre première visite à Hong-kong avait eu lieu sous les auspices du brave commandant Lapierre. Nous avions dû nous montrer touchés à cette époque de l’éminent service que la marine britannique venait de rendre sur