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sucre est beaucoup plus difficile ici qu’à la Louisiane. J’ai dit qu’il fallait faire de grands frais préalables pour l’acquisition et l’installation de ces appareils qui sont dispendieux avant d’être économiques. Or très souvent ceux qui entreprennent l’exploitation d’une sucrerie manquent des capitaux nécessaires, ils empruntent et paient avec les produits ; mais c’est une rude affaire d’emprunter dans un pays où le taux légal de l’intérêt est à 12 pour 100. En général les choses se passent ainsi : le marchand d’esclaves, qu’on appelle l’importateur de noirs, en avance un certain nombre au planteur sur la promesse d’être remboursé par lui. Les fournisseurs avancent de même les alimens des esclaves. Un incendie dans la plantation suffit pour mettre l’emprunteur dans un grand embarras ; aussi beaucoup de planteurs sont-ils gênés et hors d’état d’employer des procédés qui pourraient augmenter la production et permettre ainsi de se passer du travail esclave.

On sait que l’Angleterre a cherché à remplacer dans ses colonies les esclaves qu’elle avait émancipés par des engagés malais ou chinois. De même à Cuba on a fait venir depuis quelque temps un assez grand nombre de Chinois, et on s’en trouve bien ; ils supportent la fatigue continue de l’époque de la roulaison comme les nègres. Quand on a voulu les frapper, ils ont résisté et n’ont pas consenti à recevoir des coups de fouet ; mais on a nommé un chef parmi eux qui leur donne des coups de bâton, et ils acceptent. En effet, le bâton est dans leurs mœurs ; l’énumération des coups à recevoir remplit tout leur code pénal, et forme l’ensemble de leur législation criminelle. Les Chinois commencent à connaître les chemins de l’Amérique, on sait à quel point ils abondent en Californie ; déjà ils occupent un quartier de la ville, de San-Francisco, où ils ont bâti une pagode. Le jour anniversaire de la déclaration de l’indépendance américaine, ils ont figuré avec leurs étendards, sur lesquels étaient peints des dragons, dans la procession civique en l’honneur du congrès et de Washington.

Un argument a été mis en avant contre l’emploi des esclaves dans l’île de Cuba, et je le reproduis ici sans me prononcer sur sa valeur, mais avec le désir qu’il soit bon. L’abolition de l’esclavage pourrait, à quelques égards, être favorable à la culture générale de cette île. Les plantations de sucre absorbent tous les capitaux, car les plantations de café sont de plus en plus abandonnées, par suite de la concurrence du Brésil et de Java. Peut-être l’île gagnerait-elle à une culture plus variée de produits tels que le maïs, le blé, le cacao, qui, comme le tabac, n’ont nul besoin du travail esclave.

Enfin il est un adversaire puissant de l’esclavage, le plus puissant de tous peut-être, la betterave. La première chose à faire par les abolitionistes, ce serait de ne jamais mettre un morceau de sucre dans leur thé, ou, s’ils n’ont cette vertu, au moins de se servir toujours