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des méditations profondes, que cette illusion d’où sort une immense découverte, cette chimère, ce rêve qui enfante un monde ?

Bien que Colomb ait trouvé l’Amérique comme M. Jourdain faisait de la prose, sans le savoir, je n’en aurais pas été moins curieux de voir le tombeau d’un des hommes célèbres dont l’âme a été la plus noble et le caractère le plus pur. Ce tombeau est dans la cathédrale de La Havane. Malheureusement on la répare en ce moment ; elle n’est pas ouverte, et je suis obligé de me contenter d’un souvenir de la cathédrale de Séville, où j’ai lu, sur la pierre tumulaire du fils de Colomb, ce magnifique hommage à la mémoire de son père, qui a fait croire à quelques voyageurs que là reposaient les os de Christophe Colomb lui-même :

A Castilla y a Leon
Nuovo mundo dio Colon.


Matanzas, 5 février.

Nous sommes arrivés ce matin dans la jolie ville de Matanzas. Le balcon de notre hôtel donne sur une rade dans laquelle se trouvent un assez grand nombre de bâtimens des États-Unis et un bâtiment français. Des deux côtés, de gracieuses collines s’abaissent vers la mer. Nous nous amusons quelque temps à regarder des pélicans qui se tiennent immobiles et comme endormis jusqu’au moment où ils se laissent tomber dans l’eau sur leur proie ; puis nous allons voir notre consul, M. Vergue, qui, avec une obligeance toute magnifique, arrive bientôt à notre porte suivi de deux volantes, et nous conduit au plus beau point de vue des environs de Matanzas, celui d’où l’on embrasse la vallée d’Youmouri.

C’est là que j’ai eu pour la première fois le spectacle complet de la nature tropicale. On commence par suivre en montant un chemin très raboteux. À mesure qu’on s’élève, on voit se développer la rade de Matanzas. Du côté opposé, on découvre, par une soudaine échappée de vue, la vallée d’Youmouri, avec ses palmiers et ses cocotiers irrégulièrement jetés sur ses parois inclinées et verdoyantes. Cet éclair est incomparable ; c’est comme si le rideau d’un théâtre se levait tout à coup pour laisser apercevoir un moment une décoration fugitive ; en continuant à monter, on voit les palmiers et les cocotiers border la route ; les haies sont formées de grands cierges et d’autres cactus qui ont la forme de candélabres. La vallée commence à reparaître au-dessous de la route, et l’œil ne se lasse pas d’y errer parmi cette végétation extraordinaire. Nous sommes arrivés ainsi à une habitation délaissée par ses propriétaires, et qui n’est plus occupée que par des esclaves. En général, dans l’île de Cuba, on n’habite guère la campagne pour son plaisir ; on n’y est retenu que par l’exploitation des sucreries, et alors y vivre, c’est à peu près comme vivre dans une manufacture ou une usine. Ce lieu a donc été abandonné, quoique