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que, les principaux d’entre eux ayant tous péri, ils cessèrent d’exister à l’état de nation. Quant aux Chicachas, ils avaient eu l’habileté de se retirer à temps du complot ; ce sont leurs descendans que l’on voyait encore, il y a peu d’années, chasser sur les bords de la Rivière-Rouge et du Vashita, avec les Chactas, fraction de la tribu des Natchez qui n’avait pas pris part à la lutte.


IV

Durant une période de vingt-cinq années, le Canada n’avait pas joui de quatre ans de paix. Beaucoup d’hommes valides étaient morts les armes à la main ; un plus grand nombre venait de partir pour occuper les postes établis sur les grands lacs et dans la vallée du Mississipi. L’émigration était à peu près nulle. Tandis que les Canadiens, transformés par la force des choses en véritables soldats, se disséminaient sur de grands espaces, les Anglais des provinces voisines défrichaient le sol en colonnes serrées. À la différence des hardis Canadiens, qui se croyaient largement indemnisés de leurs peines et de leurs misères, s’ils plantaient le drapeau de la France sur un fort perdu dans les bois, les habitans de la Nouvelle-Angleterre songèrent à leur intérêt propre autant qu’à la gloire de leur pays. Partout où abordent les émigrans venus de la Grande-Bretagne, on voit commencer un peuple nouveau ; partout où les Français mettent le pied, c’est un rameau de la vieille France qui s’implante avec sa sève native. On conçoit très bien que le voisinage des Canadiens turbulens, aventureux, inquiétât les planteurs de Boston, tout occupés de défrichement et de commerce. La paix ne pouvait exister entre ces deux nations que ne séparait point la mer : l’une devait céder la place à l’autre, et il fut facile de deviner de quel côté pencherait enfin la victoire, quand on vit les colonies anglaises se peupler rapidement et le Canada rester à peu près stationnaire[1]. Ce dernier pays continuait à suivre les anciens erremens, à compter sur son propre courage, à rêver des conquêtes chimériques, et auprès de lui la civilisation, aidée par l’arrivée de nombreux émigrans, marchait avec une force irrésistible. Le commerce des pelleteries, si important alors en Amérique, avait passé presque entièrement entre les mains d’une compagnie canadienne, qui l’avait pour ainsi dire conquis au prix de guerres sanglantes. Les Anglo-Américains, peu soucieux de remporter sur les sauvages de si coûteuses victoires, songèrent à attirer ceux-ci dans leurs intérêts.

  1. En 1744, la population du Canada était de 50,000 habitans ; elle avait plus que doublé depuis 1719, non par l’effet de l’immigration, mais par l’augmentation des familles établies dans le pays.