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et de Terre-Neuve, fort surpris de voir que ses subordonnés parlaient leur langue propre, professaient leur religion et entretenaient des communications journalières avec leurs frères du Cap-Breton, prétendit anglifier en masse ces vieux Canadiens. Sa tentative brutale et impolitique eut pour résultat de provoquer parmi ceux-ci une désertion considérable : les uns passèrent au Cap-Breton, d’autres s’établirent à l’île Saint-Jean, que l’on songeait aussi à coloniser.

À l’autre extrémité de la Nouvelle-France ainsi démembrée se déroulait une série d’événemens désastreux. Les premiers colons de la Louisiane furent des Canadiens. Tandis qu’une partie de ce petit peuple disputait aux traitans anglais les bords glacés de la baie d’Hudson, une autre était allée s’établir sous des latitudes brûlantes voisines du tropique, où elle se trouvait en lutte avec les Espagnols. Il fallait des émigrans pour peupler ce fertile pays. Le gouvernement français afferma la colonie naissante au commerçant Crozat, qui, après des tentatives infructueuses, remit au roi son privilège. Pendant cette période, — elle n’avait duré que cinq années, de 1712 à 1717, — la colonie déclina rapidement ; on ne trouva rien de mieux que de la concéder à la trop célèbre compagnie d’Occident établie par Law. Les suites de cette aventure financière sont trop connues pour qu’il soit utile de s’y arrêter. À la ruine des affaires succéda la famine. En 1772, un ouragan détruisit de fond en comble la ville oubliée de Biloxi et la Nouvelle-Orléans, fondée depuis peu d’années. Pour comble de malheur, les Français, trop confians dans l’apparente sincérité des Chicachas et des Natchez, ne se gardèrent point avec assez de précaution. Ces deux peuplades formèrent ensemble le projet de massacrer les colons : ce fut celle des Natchez qui l’exécuta. Sous le prétexte d’une chasse dont le produit devait servir à fêter l’arrivée de deux bateaux chargés de munitions pour les forts et de marchandises précieuses, les Natchez achètent des fusils et se répandent en nombre autour des habitations. Trois coups de feu retentissent bientôt. À ce signal, les Indiens se précipitent sur les blancs, égorgent ceux qu’ils trouvent désarmés ; deux cents personnes sont tuées en quelques instans ; soixante femmes et cent enfans faits prisonniers expirent au milieu d’horribles tourmens. Les Français prirent leur revanche, et bientôt les Natchez furent contraints de se disperser chez les tribus voisines ; ceux qui essayèrent de résister se virent réduits à demander la paix. Le parlementaire était un de leurs chefs, nommé le Soleil ; Perrier, qui commandait les Français, eut la lâcheté de le faire saisir et la cruauté de l’envoyer en esclavage à Saint-Domingue. Cette trahison ranima l’orgueil des Natchez. Pour venger ce chef illustre, dont la famille les gouvernait de temps immémorial, ils se battirent en désespérés et si longtemps,