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les difficultés incessantes qu’ils rencontrèrent, ces Normands, ces Bretons, hommes de fer et capables de supporter tous les climats, eux qui chassaient, commerçaient, défrichaient le désert depuis la baie des Chaleurs jusqu’au Mexique, préparant ainsi à leur pays tout un continent auquel on put un jour donner le nom de Nouvelle-France.

Reconnaissons donc que la France possédait dans les populations diverses qui se sont partagé son territoire, — et dont elle a su faire la nation la plus homogène de l’Europe, — tous les élémens qui pouvaient concourir à son agrandissement dans le Nouveau-Monde. On a reproché aux premiers explorateurs de s’être laissé dominer par l’ardeur des aventures, qui est le trait distinctif du caractère national. En plus d’une occasion, les gentilshommes auxquels furent confiés les intérêts et la direction de nos établissemens d’outre-mer, poussant droit devant eux, l’épée à la main, reculèrent les limites de nos possessions sans avoir les moyens nécessaires pour consolider leur conquête. Le mal n’eût pas été grand et ces entreprises auraient même tourné à l’avantage de la métropole, si celle-ci se fût occupée plus activement d’envoyer des colons derrière eux ; mais à cette époque la France n’était point surchargée de population, le nouveau continent, à peine découvert et dont on ne parlait guère ailleurs que dans les provinces maritimes, n’attirait pas encore les émigrans. Quelque misérable que fût au XVe et au XVIe siècle le sort des paysans, le sentiment de la patrie les attachait au sol. Un colon de l’Acadie, qui écrivait au XVIIe siècle, Lescarbot, fait cette judicieuse et consolante remarque dans ses Mémoires : « Si l’on ne réussit pas (et on ne réussit jamais en Acadie), il faut l’attribuer partie à nous-mêmes, qui sommes en trop bonne terre pour nous en éloigner et nous donner de la peine pour les commodités de la vie. » Il dit vrai, le naïf écrivain. La population de nos villes et de nos campagnes n’est pas si tourmentée du besoin d’acquérir les commodités de la vie, qu’elle consente à s’expatrier. Cependant il a pu remarquer aussi, lui qui fut un vrai colon, intelligent et courageux, combien les Français se façonnent aisément aux exigences d’un climat nouveau : cette facilité d’acclimatation témoigne d’un esprit actif et prompt à se créer des ressources, et ce sont là des finalités sans lesquelles on ne peut mener à bien la colonisation.

Quand la France s’occupa de fonder des colonies à l’exemple de l’Espagne et du Portugal, elle n’était point en mesure de fournir des émigrans à ses nouvelles possessions. La prospérité de ces colonies naissantes, considérables par leur étendue, mais pauvrement peuplées, intéressait l’avenir plus que le présent. Cet avenir, quelques hommes de génie surent le deviner. Malheureusement pour ces établissemens lointains, ce fut précisément durant les deux siècles qui suivirent la découverte de l’Amérique que la France se sentit de