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avait dû lui révéler, après Rubens qu’il possédait certes tout entier, que pouvait faire Rembrandt pour laisser une trace durable de son passage ? Il n’avait qu’un parti à prendre, et c’est celui qu’il a choisi : tenter une manière nouvelle. Sa manière en effet diffère manifestement des six manières que je viens de signaler. Lumineux au besoin comme Titien, imitateur fidèle de la chair comme Rubens, inférieur à Michel-Ange et à Léonard sous le rapport du savoir, dédaigneux des contours ou inhabile à les reproduire d’une façon aussi harmonieuse que Raphaël (le lecteur choisira), — s’il était permis de lui assigner un modèle, Antonio Allegri serait le seul qui se présenterait ; mais, la supposition admise, quelle différence entre le maître et l’élève ! Antonio Allegri n’abandonne jamais la suavité des contours ; Rembrandt semble en faire peu de cas. Le peintre de Parme relève directement de Léonard de Vinci, Léonard de Vinci n’a rien à réclamer dans la manière de Rembrandt. Le style du maître hollandais est un style à part, ses procédés ont été créés par lui et ne relèvent que de lui seul. L’emploi de la lumière tel qu’il le comprend, tel qu’il le pratique, est infiniment plus savant, plus ingénieux que l’emploi de la lumière conçu et pratiqué par Antonio Allegri. Aucun maître italien n’avait imaginé les procédés que Rembrandt a mis en usage : c’est pourquoi je ne crains pas de lui assigner le septième rang dans le gouvernement de la peinture. Je me représente en effet le domaine de cet art comme régi par sept maîtres souverains constituant une sorte d’heptarchie. La forme pure appartient à Michel-Ange et à Léonard ; la forme moins savante, mais plus harmonieuse, appartient à Raphaël ; la splendeur du coloris, à Titien ; la forme dessinée dans la pénombre, au Corrège : la chair vivante, à Rubens ; la forme tracée dans les ténèbres mystérieuses et pourtant intelligibles, au fils du meunier de Leyerdorp. Le maître hollandais a introduit à son tour une note nouvelle dans la peinture, que personne avant lui ne peut revendiquer, et qui établit son incontestable originalité.

Sans doute il se rencontre dans les écoles de France, d’Espagne et d’Allemagne des maîtres qui ne lui sont pas inférieurs sous le rapport intellectuel : mais aucun de ces maîtres, si éminent qu’il soit, ne peut se vanter d’avoir introduit dans la peinture une note nouvelle. Nicolas Poussin se place d’emblée par la composition à côté des premiers maîtres d’Italie ; mais sa manière de peindre n’a rien qui le sépare d’eux. Aussi savant, plus savant peut-être que Raphaël dans l’art de grouper ses personnages, de varier leurs attitudes et l’expression de leur visage, il n’a pas une manière de peindre qui lui appartienne en propre ; s’il est l’expression la plus haute de la raison dans l’histoire de son art, il n’a pas d’originalité technique. Murillo et Velasquez ne peuvent, pas plus que Nicolas Poussin, se