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loupe. Elle ne fait pas de lui, comme on l’a dit, un charlatan qui a recours, pour étonner, aux plus grossières supercheries et redoute l’attention des connaisseurs. Les portraits de Rembrandt, malgré leur empâtement, soutiennent l’examen aussi victorieusement que les portraits mêmes dont la couleur est employée avec tant d’avarice qu’elle laisse apercevoir la trame de la toile.

Les paysages de Rembrandt complètent dignement la série de ses œuvres : j’y retrouve la simplicité, la familiarité de style qui charment tous les yeux dans ses autres compositions. La donnée la plus insignifiante en apparence lui suffit pour intéresser : un moulin, une chute d’eau, une barque arrêtée au bord d’un canal, deviennent sous sa main des élémens poétiques. Ses biographes racontent que le goût du paysage lui vint dans ses fréquentes excursions chez le bourgmestre Six, qui possédait une maison de plaisance à quelques lieues d’Amsterdam. Il est possible en effet que ces visites au bourgmestre lui aient inspiré plus d’une œuvre dans ce genre ; mais il est probable qu’avant de connaître Six, il avait déjà tenté le paysage plus d’une fois. Les études solitaires qu’il avait poursuivies avec acharnement à Leycrdorp, pendant quelques années, avaient dû attirer son talent de ce côté. Devenu riche par son travail, explorant les environs d’Amsterdam dans ses momens de loisir, il a choisi sur sa route quelques bouquets d’arbres, quelques accidens de terrain, et les a reproduits à l’eau-forte. Ce n’était pour lui qu’une distraction, un délassement qui tenait peu de place dans sa vie ; mais il a trouvé dans cette distraction l’occasion de montrer son talent sous une face que ses admirateurs les plus fervens n’eussent pas devinée. Ici en effet il ne pouvait pas distribuer, j’allais dire manier la lumière, comme dans ses compositions bibliques, dans ses portraits. Il lui fallait accepter la forme des objets telle qu’elle se révèle à tous les regards ; il n’a point bronché en face de cette nouvelle difficulté. Le paysage connu sous le nom des Trois Arbres est un modèle de finesse et de profondeur : plus on le regarde et plus on le voit s’agrandir. L’horizon semble reculer devant l’œil étonné. Des nuages que le spectateur n’aperçoit pas, mais qu’il devine, plongent dans l’ombre les premiers plans, et une lumière abondante inonde le fond du tableau. S’il fallait chercher quelque part un terme de comparaison, on ne le trouverait guère que dans les œuvres de Ruysdael, et encore la ressemblance, serait-elle incomplète ; car Ruysdael, qui trouve souvent des effets si puissans, surtout lorsqu’il s’attache à reproduire un paysage d’automne, donne beaucoup plus d’importance que Rembrandt à l’exécution des détails, et ses tableaux, qui étonnent l’œil le plus attentif par la précision des terrains et du feuillage, produisent à l’instant même l’effet qu’ils doivent produire. Les paysages de Rembrandt agissent autrement sur la pensée du spectateur. L’œil ne découvre