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pas de Rembrandt lorsqu’il s’agit de grande peinture, de sujets de haut style. Ici, à la bonne heure, il a traité un sujet qui ne dépasse pas ses forces ; aussi s’en est-il tiré adroitement. — Je n’essaierai pas de troubler la conscience des puristes ; je les laisserai admirer en paix la Ronde de nuit et dédaigner la Résurrection de Lazare. Toutes les convictions sincères ont droit au respect ; cependant il sera toujours permis de plaindre les esprits exclusifs qui voient dans une manière unique l’accomplissement des conditions de l’art, et s’interdisent ainsi des sources fécondes et variées de joie et d’admiration.

La Leçon d’anatomie, du musée de La Haye, nous montre le talent de Rembrandt sous un aspect nouveau. C’est ici en effet une œuvre de pure réalité ; mais quelle réalité ! Le docteur Tulp explique à ses élèves les fonctions des muscles fléchisseurs de la main ; il soulève avec la pince les tendons qui leur servent d’attache. Les élèves, réunis autour du cadavre, suivent d’un œil attentif la démonstration du professeur. Quoi de plus simple, quoi de plus aride en apparence qu’un tel sujet ? Et pourtant Rembrandt a tiré d’une telle donnée un tableau qui, sans acception de doctrine et d’école, peut passer à bon droit pour une des œuvres les plus solides de la peinture moderne. Je veux bien reconnaître que le thorax offre une convexité trop prononcée ; ce détail, sans importance, n’enlève rien à la réalité générale du sujet. Les membres sont dessinés avec une précision magistrale. Réduite à ces élémens, la composition que j’étudie serait déjà très digne d’attention ; mais ce n’est pas le seul mérite qui la recommande, ce qui donne à ce tableau une valeur inestimable, ce qui fait de cette scène d’amphithéâtre quelque chose d’intéressant pour ceux mêmes que la science n’a jamais intéressés, c’est l’étonnante variété que Rembrandt a su imprimer à la physionomie des élèves. Toutes les nuances, je dirais volontiers tous les degrés de l’intelligence, se peignent dans l’attitude et le regard des auditeurs : l’un, qui a deviné la démonstration, se borne à constater par le regard ce qu’il savait d’avance ; un autre contemple d’un œil étonné ce qu’il n’a pas su deviner ; un troisième regarde sans comprendre ; un quatrième suit d’un œil distrait la démonstration du professeur, comme s’il ne trouvait pas dans son intelligence la force d’accorder ce qu’il voit avec ce qu’il entend. C’est à mes yeux la vérité prise sur le fait, car toutes les sciences qui s’adressent à la fois aux yeux et à l’intelligence permettent de contrôler sûrement les sentimens exprimés par Rembrandt. Qu’il s’agisse de l’analyse d’une fleur, de sa décomposition en calice, en corolle, en ovaire, en pistil, en étamine, ou de l’action chimique des corps les uns sur les autres, il n’est que trop facile de retrouver chaque jour les nuances variées d’intelligence exprimées par les auditeurs du docteur Tulp. Depuis