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avec le caractère tumultueux de la scène. Je ne dis rien de l’architecture du temple, car si elle ne s’accorde pas avec les données que nous possédons aujourd’hui, elle n’offre pourtant rien de singulier, rien qui étonne ou blesse le goût.

Abordons maintenant un autre genre de composition. Nous savons tout ce que Rembrandt a su faire dans le genre religieux, suivons-le dans le domaine de la fantaisie. La Ronds de nuit, placée au musée d’Amsterdam, est, de l’aveu de tous les artistes, de l’aveu même de ceux qui sont loin de partager les doctrines de Rembrandt, un prodige d’exécution. Jamais peut-être la magie de la couleur n’a été poussée plus loin. D’instant en instant, le regard découvre un nouveau personnage qui semble se détacher de la toile. On dirait que la baguette d’un enchanteur, en frappant les murailles, anime les pierres et les transforme en figures vivantes. Soldats, chef de ronde, bourgmestre, sont rendus avec un relief qui touche à la réalité même. La jeune fille placée à gauche du spectateur est charmante de grâce et d’ajustement. C’est d’ailleurs une œuvre de fantaisie s’il en fut jamais, car le titre sous lequel ce tableau est connu est loin d’exprimer nettement ce que l’œil y découvre. On dit que c’est une ronde de nuit ; mais alors comment expliquer le tambour qui précède la troupe ? Que signifie cette jeune fille dont le regard effaré semble implorer secours ? Que signifie la plume attachée au chapeau du chef de ronde comme en un jour de parade ? Quel rôle joue dans la scène le bourgmestre ? Dans quel monde sommes-nous ? Est-ce un souvenir, est-ce un rêve que le peintre a voulu représenter ? Je laisse à de plus habiles le soin de décider cette question. Quelque opinion qu’on adopte à cet égard, il est impossible de méconnaître la vie et le mouvement qui animent toute cette toile. Rêve ou réalité, souvenir ou caprice, c’est une des œuvres les plus puissantes que le pinceau ait jamais enfantées. Ici Rembrandt n’a pas à redouter les objections des puristes, car ils ne peuvent discuter la Ronde de nuit, comme le Christ en Croix, au nom des traditions consacrées par l’école ; placé sur un terrain nouveau, sur un terrain qui lui appartient tout entier, il n’a pas à craindre qu’on lui oppose les efforts tentés par ses devanciers pour le développement du même thème. Pour ma part, malgré ma profonde admiration pour la Ronde de nuit, je ne la mets ni au-dessus du Christ en Croix ni au-dessus de Lazare sortant du tombeau ; mais je conçois très bien que les défenseurs des traditions académiques se trouvent plus à l’aise en face de cette toile que devant les compositions bibliques de Rembrandt. Ils peuvent en effet la louer sans se rendre coupables d’impiété : célébrer le mérite d’une telle œuvre n’est pas un cas de conscience, car, après tout, ce n’est, disent-ils, qu’un tableau de genre. Ne parlons