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de personne, qui ne ressemblait à personne, voulait que tous ses élèves gardassent la même liberté. Il craignait les dangers de l’imitation involontaire. Tous ceux qui ont fréquenté les ateliers où se trouvent réunis de nombreux élèves savent en effet que trop souvent l’élève qui a devant les yeux le modèle vivant, au lieu de copier ce qu’il voit, reproduit volontiers ce qu’il voit copié près de lui. Il est vrai que le régime cellulaire adopté par Rembrandt détruit à peu près toute espèce d’émulation ; mais il n’est pas moins vrai que l’élève, mis aux prises avec la nature vivante, obligé de lutter avec le modèle qu’il a sous les yeux, ne pouvant compter que sur son travail personnel, ne pouvant invoquer un secours étranger, fait une dépense d’énergie à laquelle il n’aurait pas songé, s’il eut pu compter sur l’épreuve tentée par un camarade. Il est malheureusement vrai que cent élèves qui ont vécu cinq ans dans un même atelier, sous le régime de l’enseignement en commun, le quittent presque toujours en possession d’un procédé uniforme qui ne permet pas de discerner leurs instincts personnels. Rembrandt, qui connaissait ce danger, avait cru le prévenir en soumettant tous ses élèves à des études solitaires. Je ne prétends pas donner sa méthode comme excellente et souveraine. Il y a cependant dans ce respect pour l’indépendance des facultés naturelles quelque chose qui mérite d’être noté. Si les écoles offrent un avantage, c’est à coup sûr l’enseignement des procédés matériels, sur lesquels repose la pratique de l’art ; mais à côté de cet avantage que je ne veux pas contester, elles offrent un danger que Rembrandt avait compris : c’est l’uniformité de l’expression. Contre ce danger, il n’avait rien trouvé de mieux que l’enseignement cellulaire ; or je crois qu’il avait fait fausse route. Si l’étude solitaire du modèle vivant respecte en effet l’indépendance des facultés naturelles, elle éteint complètement l’émulation, et n’est pas moins dangereuse que l’imitation involontaire et mécanique des ateliers où se pratique l’enseignement en commun. Il est bon sans doute que chacun garde sa nature et mette dans ses œuvres, même informes et inachevées, l’empreinte de son caractère ; mais il n’est pas moins salutaire que les hommes voués à la représentation de la forme trouvent dans leurs jeunes années, à tous les momens de leur travail, l’aiguillon sans cesse ravivé de l’émulation. Or l’enseignement cellulaire, considéré par Rembrandt et par quelques-uns de ses biographes comme si propice à l’indépendance du génie, anéantit toute espèce d’émulation ; c’est pourquoi je ne saurais m’associer aux éloges qu’ils lui décernent. Je crois que tous les maîtres qui ont pratiqué l’enseignement sont de mon avis, qu’il est possible de concilier l’indépendance et l’émulation. Je crois qu’un peintre habitué à discerner les facultés natives de ses élèves peut, tout en respectant