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d’abord le canal qui forme aujourd’hui le port de Métalélim : les deux roches qui divisent la passe lui servaient à poser au-dessus de l’eau ses larges pieds. Quand il eut poussé ses travaux jusqu’au fond de la baie, il voulut faire passer son canal à travers la montagne qu’édifiaient péniblement ses fils. Chacun d’eux s’obstinant à défendre son œuvre, une lutte dénaturée s’ensuivit, et la race des géans disparut. En ce moment débarquaient sur la plage de Métalélim cinquante hommes qu’une pirogue amenait de lointains rivages. Ils contemplèrent avec effroi les travaux gigantesques de leurs devanciers, et bâtirent leurs huttes de paille sur le bord de la mer. Ce fut d’eux que sortirent les cinq tribus de Pounipet.

Ainsi se conservent à quelques lieues d’Oualan les traditions de deux migrations distinctes. La première a érigé les monumens que Cook et Lapérouse ont observés dans l’île de Pâques, qu’Anson et les officiers de l’Uranie ont admirés aux Mariannes, que l’on retrouve à Pounipet, sur les points les plus étrangers l’un à l’autre de l’Océanie, et jusque dans l’île oublieuse que nous étions venus visiter. — À cette race industrieuse ont succédé des colonies nouvelles : ces derniers émigrans semblent n’avoir connu que les premiers rudimens de la civilisation. Leurs prédécesseurs, si on les jugeait à leurs œuvres, auraient apporté avec eux les arts et les besoins d’une vie sociale beaucoup plus avancée.

Ce que les officiers de la Danaïde purent entrevoir des idées religieuses des habitans de Pounipet pendant leur séjour dans l’île indiquait un peuple doux et paisible. Point de ces sacrifices humains ni de ces mutilations sanglantes par lesquels tant d’autres peuplades de l’Océanie s’imaginent rendre hommage à la Divinité. Chaque habitant semble avoir choisi sa déité protectrice. Pour les uns, le pigeon est l’objet d’un culte superstitieux ; pour les autres, c’est, comme à Oualan, la murène. Ils entourent ces dieux de leur choix d’un respect inviolable. Tout Indien coupable d’un meurtre sacrilège, quand bien même ce meurtre serait involontaire, doit fuir de sa tribu. Un culte aussi simple ne demande ni temples ni ministres. Les tribus de Pounipet ont cependant des hommes habiles à lire dans l’avenir et à converser avec les esprits. Le pouvoir mystérieux qu’on leur attribue donne à ces thaumaturges une considération et une puissance à peine inférieures à celles des chefs. Dans toutes les cérémonies importantes, ils sont invariablement appelés à jouer un rôle. Leur place est marquée dans les fêtes, et la première coupe de kawa est pour eux. C’est surtout à guérir les malades que leur savoir s’applique. Si l’on veut chercher dans l’étude des superstitions populaires le berceau des nations dispersées sur la surface du globe, on ne reconnaîtra pas sans une certaine surprise dans les pratiques