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plus hardiment et avec le plus de puissance les mystères de la vie privée. On sait ce qui se cache sous ce titre séraphique : c’est l’histoire, la lamentable histoire d’une pauvre âme opprimée, froissée dans ses instincts et sa délicatesse par le despotisme conjugal d’un homme égoïste, et qui, dans la résignation même où elle vit, subit les atteintes de la passion, — passion inavouée d’abord, déguisée sous toute sorte de tromperies charmantes, ardente pourtant et mortelle. Reproduire tout cela, c’est l’œuvre d’une analyse pénétrante et forte, habile à scruter les secrets du cœur. Comment le drame y réussirait-il ? comment pourrait-il peindre ces nuances intimes, ces progrès, ces mouvemens de la passion ? Là où le roman triomphe, le drame échoue. Le drame n’a qu’un avantage, c’est que ses héros sont un peu moins bavards, les conditions scéniques ne peuvent se prêter aux développemens infinis ; mais alors les situations se dessinent moins, la logique des caractères est faussée, la passion ne s’explique plus ; les personnages, à force d’être transformés, sont écourtés, la noble et douce héroïne de Clochegourde devient presque vulgaire ; lady Arabelle est une intrigante éhontée. Quant à ce pauvre Félix de Vandenesse, qui n’avait point déjà un beau rôle dans le roman, il joue un personnage légèrement stupide dans le drame. M. de Mortsauf seul conserve quelque chose de sa physionomie première, et c’est peut-être grâce à l’acteur. Tout cela s’agite sans vivre réellement, jusqu’à ce que cette malheureuse comtesse exhale son dernier soupir, ballottée comme elle le fut dans sa vie entre son amour et sa vertu, jusqu’à ce que cette âme dévorée et consumée s’envole purifiée de son enveloppe terrestre, — et alors on se demande à quoi bon transporter sur la scène ce qui est du domaine du roman, à quoi bon défigurer ce qu’il y a parfois de charmant et de profond dans l’œuvre de Balzac, sans effacer ce qu’il va trop souvent aussi de grossier et de choquant ? On se demande si cette manie de traduire en drame ou en comédie tout ce que le génie romanesque invente n’est pas le plus triste signe d’indigence, et si les victoires que gagne le Théâtre-Français avec ces travestissemens n’équivalent pas à des défaites.

Rentrons maintenant dans l’histoire, politique. Nous laissions récemment la Hollande sous l’empire d’une émotion religieuse assez vive et de complications intérieures qui n’étaient point sans gravité. C’était tout un changement de direction dans le gouvernement, changement provoqué par l’organisation du culte catholique. Quelle est maintenant la situation de la Hollande ? Quels sont les résultats des élections qui viennent d’avoir lieu ? Quelle est la politique destinée à prévaloir à l’issue d’une crise où bien des questions délicates bien des intérêts, étaient engagés ? Le résultat le plus évident peut-être des élections récentes, c’est la défaite qu’a éprouvée cette portion du libéralisme dont l’ancien ministre, M. Thorbecke, est le principal chef. Le parti dit des réformés historiques a gagné quelques voix ; le nombre des députés catholiques est d’une quinzaine environ. La fraction la plus considérable de la seconde chambre, et qui semble devoir constituer la majorité, appuie le cabinet nouveau, dont la politique jusqu’ici parait devoir prendre un caractère conservateur plus prononcé, sans déroger essentiellement à la constitution. C’est dans ces conditions que s’ouvraient les états-généraux le 14 juin. Le roi lui-même inaugurait cette session extraordinaire. On n’était point d’ailleurs sans attendre avec quelque impatience l’expression de la pensée du gouver-