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nous soyons au moment des résolutions décisives, où il faut choisir entre la paix et la guerre, et c’est là, sans nul doute, ce qui a inspiré au cabinet à Saint-Pétersbourg la pensée de fixer l’état de la question au point de vue russe dans une note adressée à ses agens près des diverses puissances. Or en quoi se résume cette note, cette exposition solennelle placée sous l’autorité du nom de M. de Nesselrode ? Est-elle de nature à modifier les impressions ressenties en Europe ? Révèle-t-elle quelque grief de la Russie inconnu jusqu’à ce moment ? Fait-elle apparaître comme beaucoup plus légitime toute tentative qui serait faite par le gouvernement russe pour obtenir par la voie des armes ce que les négociations n’ont pu lui donner ? La Russie peut indubitablement encore recourir à la force en jetant son armée dans la Moldavie et la Valachie ; rapprochée de sa déclaration, cette occupation n’en restera pas moins un acte de force que rien n’explique dans les difficultés d’un ordre général récemment suscitées, et que rien n’autorise dans les conditions spéciales faites aux provinces du Danube par le traité de Balta-Liman.

La note du cabinet de Saint-Pétersbourg a eu cet avantage et ce succès, de pouvoir être interprétée dans un sens favorable à la paix aussi bien que dans un sens moins rassurant ; c’est toujours la merveille des documens diplomatiques dans les situations difficiles. Au fond, c’est dans cette note même qu’on pourrait trouver les meilleurs argumens contre les prétentions de la Russie en montrant les erreurs ou les confusions sur lesquelles ces prétentions reposent. Et d’abord il y a, ce nous semble, dans la communication émanée du cabinet du tsar, un simple mot où se révèle la singulière ambition de la Russie ; ce mot, c’est la qualification d’église gréco-russe donnée aux églises orientales. N’est-ce point une prétention suffisamment réfutée et que repoussent, comme nous l’indiquions récemment, les communions mêmes auxquelles ce nom s’applique ? Il n’y a point d’église gréco-russe en Orient, il y a des églises grecques nées et constituées avant même qu’il y eût une Russie, et qui ne pouvaient pas prendre apparemment un nom qui n’existait pas. Ce n’est point exclusivement, à vrai dire, d’une considération religieuse qu’est né ce rôle protecteur revendiqué aujourd’hui si entièrement par le gouvernement russe, c’est la politique qui l’a créé, c’est la décadence progressive de la puissance turque coïncidant avec l’agrandissement de la Russie qui a amené cette situation, ce protectorat de fait, qui ne rend pas plus vraie la qualification d’église gréco-russe donnée aux communions orientales, et qui surtout n’explique point comment la Russie se croirait le droit de faire consacrer par une convention diplomatique cette sorte d’absorption, dont le dernier mot serait inévitablement de réunir sous sa suprématie toutes les populations grecques de l’Orient. Quant à la nature même des difficultés les plus récentes, est-il nécessaire de dissiper une fois de plus la confusion faite par la Russie entre ses réclamations concernant les lieux saints et les exigences postérieures que le prince Menchikof a été chargé de faire triompher ? La question des lieux saints a été réglée, la note russe elle-même l’avoue, sans difficulté de la part de la Turquie, sans obstacle de la part de la France. Comment donc serait-ce encore la question des lieux saints ? Comment l’Europe pourrait-elle accepter sans contestation cette étrange connexité établie entre des réclamations portant sur un point spécial, auxquelles il a été pleinement satisfait