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complètement. Quelques années plus tard, en I562, Jean Ribault partit de Dieppe avec deux navires, et débarqua près de l’embouchure de la rivière Saint-Jean, qui sépare la Floride moderne de la province de Géorgie : il y construisit le fort Charles, la première citadelle de l’Amérique du Nord sur laquelle ait flotté le drapeau européen ; mais cet établissement fut bientôt abandonné ; Coligny cependant ne se découragea point. Une expédition nouvelle, dont le commandement fut confié à René Laudonnière, vint s’établir dans les mêmes contrées ; les Espagnols, auxquels les nouveaux colons portaient ombrage, s’emparèrent par surprise du fort que ceux-ci avaient construit, et les pendirent en attachant cette inscription au-dessus de leur tête : Pendus comme hérétiques et non comme Français. Un gentilhomme de Mont-de-Marsan, Dominique de Gourgues, résolut de tirer vengeance de cet acte de cruauté : il vendit son patrimoine, recruta deux cents volontaires, et partit du port de Bordeaux en 1567 sur trois navires parfaitement équipés. Sa traversée fut heureuse. Il tomba à l’improviste sur les Espagnols qui s’étaient rendus coupables du meurtre de ses compatriotes, et les fit attacher au gibet avec celle devise : Pendus comme assassins et non comme Espagnols. Lorsqu’il revint en Europe, l’Espagne mit sa tête à prix, après en avoir au préalable obtenu l’autorisation du roi de France.

Dans le cours du XVIIe siècle et longtemps avant la révocation de l’édit de Nantes, un assez grand nombre de réfugiés se rendirent dans le Nouveau-Monde et s’établirent de préférence dans l’état de New-York, la Virginie, le Maryland, et surtout dans la Caroline du sud. De 1680 à 1699, l’émigration s’accrut considérablement. La colonie du Santee et celle de Charleston, la plus importante de toutes, atteignirent un remarquable degré de prospérité. Quatre cents familles environ parmi celles qui les composaient demandèrent au gouvernement de Louis XIV l’autorisation de s’établir dans la Louisiane, à la seule condition qu’on leur accorderait la liberté de conscience. Le ministre Pontchartrain leur répondit que le roi ne les avait pas chassés de ses états pour qu’ils formassent une république dans ses domaines du Nouveau-Monde. L’Angleterre, cette fois encore, s’empressa de profiter de cet incroyable aveuglement. Elle s’efforça, par des faveurs de toute espèce, de fixer les réfugiés dans ses colonies naissantes, « afin, dit l’acte de la législation de la Caroline du sud, de contribuer à l’établissement des manufactures de soie, et de hâter en même temps l’introduction de la vigne et de l’olivier. » Dès ce moment, les réfugiés de l’Amérique, attachés sans retour à leur nouvelle patrie, la fécondèrent par leur travail, la défendirent contre la France et l’Espagne, et s’associèrent à toutes ses luttes et à toutes ses gloires. Des sept présidens qui dirigèrent le congrès de Philadelphie pendant la guerre de l’indépendance, trois, Henri Laurens, Jean Jay, Elie Boudinot, étaient d’origine française. Après avoir suivi l’histoire des colonies protestantes en Amérique, on regrette avec M Weiss que la pensée de Coligny n’ait pu se réaliser, et qu’il ne se soit pas rencontré un chef influent pour rallier sous un même drapeau tous les proscrits et fonder avec eux dans le Nouveau-Monde une France protestante.

On voit quel intérêt s’attache à l’histoire des protestans français en Europe comme dans le Nouveau-Monde. Il ne faudrait cependant pas s’exagérer l’importance