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on les traque à l’heure qu’il est comme des bêtes fauves. On en a tué je ne sais combien depuis six mois. Il court à ce propos, dans toutes les chaumières de la Corse, un bruit qui est venu jusqu’en France, et que nous donnons pour ce qu’il vaut. On prétend que ce sont leurs anciens amis, les bergers, qui les trahissent et qui les tuent. On nous a raconté l’histoire de deux bandits des environs de Calvi, Séraphino et Massone, liés d’une étroite amitié, qu’un berger a endormis en versant de l’opium dans leur eau-de-vie. Il les a livrés dans cet état à la gendarmerie. — Avec les derniers bandits disparaîtra la véritable Corse. Et déjà elle n’est plus, puisqu’on a pu trouver des traîtres parmi ces généreux bergers, autrefois si loyaux et si hospitaliers !


III

Dès les premiers jours de notre connaissance avec Bourrasque, nous avions renvoyé nos chevaux et le guide Matteo. Nous louâmes un mulet pour porter notre valise, et nous partîmes gaiement de Porto-Vecchio à pied le long de la belle route de la cote orientale qui nous conduisit à la ferme du Migliaciaro.

On a à peu près renoncé aujourd’hui à l’exploitation de ce magnifique domaine. Les champs sont retournés en friche. Là comme ailleurs, le caractère violent des habitans, les querelles, les procès, ont découragé les étrangers qui venaient apporter dans le pays leur argent et leur industrie. Il faut dire aussi que les personnes chargées de la direction de cette entreprise n’ont pas peu contribué, si nous en croyons les détails recueillis sur les lieux, à ruiner cet établissement par leur ignorance, leur incurie, par ce laisser-aller de grands seigneurs qui perd tant de nouveaux propriétaires. Des capitaux immenses avaient été dépensés à la légère dans les premiers momens d’enthousiasme, et plus tard ces mêmes capitaux, appliqués avec intelligence, avec une connaissance plus exacte des difficultés à vaincre, auraient peut-être décidé le succès de l’entreprise. Toutefois il est permis de douter qu’on puisse obtenir des succès agricoles dans une plaine d’une merveilleuse fertilité, il est vrai, mais d’où les habitans sont chassés par la fièvre pendant l’été et une partie de l’automne.

Le petit fleuve qui passe au pied de la ferme a donné son nom à tout le canton. Le Fiumorbo est un des plateaux de la Corse où l’on rencontre le plus de bécasses. Il y a aussi beaucoup de cerfs dans la forêt de Pinia, qui borde la mer. Une personne d’Ajaccio nous avait envoyé une lettre de recommandation pour un de ses pareils qui habite ce pays. Qu’on nous permette de transcrire ici cette lettre, qui est un des documens intéressans de notre voyage, et qui peut faire connaître certaines nuances du caractère corse : « Mon cher parent,