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Je les lui donnai en rechignant, et je le quittai. Il me rejoignit au bout de quelques pas et me demanda des allumettes, puis du plomb, puis des capsules que je lui donnai. Et comme je me croyais quitte, il recommença à se gratter l’oreille d’une façon inquiétante.

— Vous avez une bien jolie poire à poudre, me dit-il d’une voix insinuante.

— C’est vrai ; mais je n’en ai qu’une et je la garde.

— Elle me ferait bien plaisir.

— Allez-vous-en à tous les diables.

Et, sans attendre mon congé, je commençai à déguerpir à grands pas. Je me retournai au détour du chemin. Il était resté à la place où je l’avais laissé, et paraissait réfléchir. — S’il recommence à se gratter l’oreille, me disais-je, nous allons en voir de belles. — Cependant la nuit était venue. Je m’égarai dans la plaine, comme je l’avais prévu. Tantôt je tombais dans une fondrière, tantôt je prenais un chemin qui me conduisait à un étang. Je songeais involontairement à mon bandit et à cette maudite poire à poudre qui avait eu le malheur de lui plaire. Enfin, comme j’étais engagé dans un champ de bruyères, ne sachant guère ce que je faisais, j’entendis deux coups de fusil à une centaine de pas de moi ; mon chien partit comme un trait dans cette direction, et je reconnus la voix de Bourrasque qui l’appelait. Je le rejoignis bien vite. Quand le brave homme m’aperçut, il se livra à des démonstrations de joie qui me touchèrent dans un gaillard de sa trempe. Il avait appris par un berger que j’avais gravi le Taglio-Rosso avec Giovan’ Anton’, et, quoiqu’il ne le pensât pas capable de me faire un mauvais parti, il errait depuis deux heures au pied de la montagne, dans l’espoir de me retrouver.

Ce bandit, alors si aimable, est devenu depuis un des plus redoutables membres de cette troupe dei cuchi qui désole encore en ce moment l’arrondissement de Sartène : c’est l’histoire de presque tous les bandits. Ils se jettent dans le maquis après une vendetta où les a contraints le préjugé du pays. S’ils ont quelques ressources, ils passent en Sardaigne ; sinon, ils vivent dans les bois, aidés et nourris par les bergers. Puis les souffrances, les privations, les conduisent à aller emprunter de l’argent dans les maisons où ils sont connus. Bientôt ils taxent les habitans à de fortes sommes, et, si on leur résiste, ils mettent les terres en interdit, tuent les chevaux, les vaches, les troupeaux, enfin se font voleurs de grands chemins, ce qui est une extrémité rare chez un peuple qui méprise le vol.

Ce sont sans doute ces mêmes bandits qui, depuis notre passage, ont lassé M. de X… de leurs importunités, au point qu’il a été obligé de quitter la Propriété et de venir habiter Porto-Vecchio. Du reste,