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départ comme les bécassines. Je ne parle pas des faisans. Je n’en ai pas vu voler un seul. Il y en a cependant encore quelques-uns ici et dans le Fiumorbo, à ce que dit Bourrasque ; mais ce n’est pas la peine d’y perdre son temps, tant ils sont clair-semés.

Nous voilà donc au milieu de cette volière, distribuant notre plomb le mieux possible, sous la conduite d’un guide émérite. Cet homme-là a sondé tous les recoins des deux côtes de l’île ; il a sillonné le pays on tous sens, depuis le Cap Corse jusqu’à Bonifacio, de Carghèse à Aleria, de l’Ile-Rousse à Porto-Vecchio ; il a chassé dans toutes les plaines, péché dans tous les marais, couché dans toutes les cabanes de bergers, marqué tous les postes d’affût, et, en fin de compte, c’est à Porto-Vecchio qu’il s’est établi. Quand il entre dans un champ et qu’il dit avec un geste de prudence : Ci somo pernici ! on peut être sûr que le chien va lever la tête et flairer une piste.

J’avouerai toutefois que, ma première ardeur une fois apaisée, j’ai laissé, plus d’un jour, mon ami s’en aller seul avec son infatigable compagnon. Je m’abandonnais à un doux far niente au bord de cette belle mer ; j’assistais à des pêches miraculeuses, car le poisson est aussi abondant que le gibier, ou bien, à l’heure de midi, j’allais en bateau fumer sur la rade, bercé par le remous les vagues, en compagnie d’un aimable compatriote que ma bonne étoile m’avait fait rencontrer a Porto-Vecchio. M. de X…, ancien officier de marine, par un concours de circonstances singulières, s’est établi dans ce pays il y a quelques années et y a pris racine. Aujourd’hui il est conseiller municipal de la ville et l’un des hommes importons du canton.

M. de X…, en quittant le service, s’était trouvé en face d’une fortune plus que modique et d’une retraite de lieutenant de vaisseau. Il ne lui convenait pas à lui, vieux loup de mer, d’aller planter sa tente dans quelque ville de province, pour y vivre à table d’hôte et passer ses journées dans le café de l’endroit à faire des parties de piquet ou d’écarté. Il avait rêvé mieux que cela pour ses vieux jours : une petite maison sur une côte sauvage, au bord d’une forêt, avec un bateau bien armé qui lui permît d’entretenir quelques relations avec la mer, sa vieille amie. Il prit donc un sac de voyage, et se mit en route. Il arriva ainsi un beau matin à Porto-Vecchio, après avoir fait vainement le tour des côtes de la France. C’était à la fin de novembre. Le soleil était magnifique et animait de sa chaude lumière ce paysage, qui est un des plus beaux du monde. Il s’assit un instant au bord de la rade, à deux cents pas de la ville, à l’ombre de quelques chênes verts, précisément au bout d’un champ d’oliviers qui s’abaissait en pente douce jusqu’à un petit port protégé par un rocher. Une ligne d’arbres dont les branches pendaient sur la mer s’étendait le long de la grève. M. de X… crut revoir un pays déjà bien