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une armée dont les membres sont solidaires, en sorte que la querelle de deux voisins partage quelquefois des villages entiers.

Ce sentiment profond, exagéré même, des devoirs de la famille, n’est sans doute pas étranger aux vertus domestiques qui distinguent le peuple corse. Nulle part on ne pratique plus généreusement l’hospitalité. Nous avions donc raison de dire que nous n’entendions point chercher noise aux habitans de Sartène. Il parait, du reste, qu’on est malvenu à blesser l’orgueil de ces robustes montagnards. Un de nos camarades, qui appartient à une famille considérable de la ville, nous a exprimé en termes farouches toute son indignation contre un voyageur qui avait eu l’audace de prétendre que Sartène était le pays de prédilection de la gale. Ce voyageur était l’auteur d’un livre intéressant sur l’Italie, M. Valéry. En vain avait-il cherché à dissimuler, sous des périphrases étranges, la laideur de ce mal héroïque et populaire, dont les vives excitations et l’agitation qu’elles produisent ont été prises souvent, dit-il, pour l’amour de la gloire ! » Notre ami de Sartène, dans sa colère rétrospective, nous a avoué qu’un jour il était allé de Paris à Versailles, qu’habitait M. Valéry, dans l’intention de lui faire un mauvais parti. Dieu nous préserve donc de nous brouiller avec les habitans de Sartène !

Nous quittâmes la route pour gagner à travers les montagnes le village de la Monnaccia et le golfe de Figari, qui se déploie au pied de ce plateau. Nous traversâmes une montagne d’un accès difficile par des sentiers hérissés de rochers, et nous arrivâmes un peu tard au village de Caldarelli, voisin de la Monnaccia. La nuit était obscure, et nous allions de porte en porte, demandant un gîte que nous ne trouvions pas, quand Matteo s’écria : — Allons chez le préte !

Le préte, c’était le curé du lieu, qui nous installa devant un grand feu et tira de son bahut quelques œufs et des noix, tout humilié de ne pas avoir mieux à nous offrir. Une servante accorte, vêtue d’une robe noire à jupon court, avec des brodequins grossiers et des bas rouges, se démenait pour nous bien recevoir. Le lendemain était un dimanche. Nous assistâmes à la messe dans une pauvre église dont le clocher sans prétention était formé d’une poutre liée à deux pins parasols. Le curé, sa messe dite, prit son bâton de myrte et se mit en devoir de nous accompagner à la chasse.

Tout le plateau qui borde le golfe de Figari est inculte et couvert, à trois pieds de hauteur, de ce ciste vivace qu’on appelle ici du nom de mucchio. C’est le repaire favori des compagnies de perdrix. Elles fuient devant le chien à travers ces plantes épaisses, et se font suivre ainsi, d’arrêts en arrêts, jusqu’à de longues distances. À l’heure des vêpres, le vieux curé nous dit adieu, en nous donnant rendez-vous au coucher du soleil. À notre retour, au lieu du maigre