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quotidiennement sa promenade à pied, jouant volontiers au jeu de balle, et ne laissant jamais deviner qu’il fût savant quand il se rencontrait avec des gens du monde, lorsque, au mois de juin 1688, une strangurie se déclara tout à coup, et il fut forcé de s’aliter. Au bout de quinze jours environ, il se trouva beaucoup mieux, et se rendit, pour visiter les bénédictins ses amis, à l’abbaye de Saint-Germain des Prés, qui était pour Paris et la France au XVIIe siècle ce que l’abbaye de Saint-Victor avait été dans le moyen âge, l’asile inviolable de l’étude et de la piété. L’amélioration qui avait permis cette visite ne fut pas de longue durée. La maladie se ranima bientôt avec une vivacité nouvelle ; de graves accidens se déclarèrent dans les premiers jours de septembre, et Du Cange sentit qu’il fallait mourir. Chrétien comme Manillon et résigné comme lui au milieu des plus vives souffrances, il mourut avec le même calme et la même piété, consolant ceux qui l’entouraient, exhortant sa famille à vivre, avec honneur et à rester unie, et gardant jusqu’au moment suprême un calme et une présence d’esprit inaltérables. Baluze, qui fut son disciple et son ami, a raconté ses derniers instans comme dom Thierry Ruinart a raconté ceux de Mabillon, avec un sentiment profond d’attendrissement et de regrets. On sent, à la sincérité de sa douleur, tout ce que valait Du Cange comme ami et comme homme privé, et en comparant les deux récits on ne peut se défendre d’une sympathie mêlée de respect pour ces hommes simples et forts, si savans et si modestes, que la foi consolait de la mort, comme le travail et l’étude les avaient consolés de la vie.

Le 25 février 1088, Du Cange fut inhumé dans l’église Saint-Gervais au milieu d’un immense concours de savans et de gens de lettres. Sa tombe, ornée d’une épitaphe latine qui rappelait ses travaux et ses vertus, était placée entre deux chapelles auprès de la sacristie. Elle a disparu depuis longtemps, et parmi tous ceux qui fouillent des ruines, personne ne sait aujourd’hui sous quel pavé de la vieille église repose cet homme qui nous a révélé le passé.

M. Feugère, en racontant la vie de Du Cange, est resté fidèle à la méthode suivie par les biographes du XVIIe siècle, c’est-à-dire qu’il a réuni une foule de petits faits qui, pour être parfois un peu minutieux, n’en sont pas moins caractéristiques. Cette manière, qui sent son vieux temps, nous parait, nous l’avouerons, bien préférable dans sa simplicité à ces considérations prétentieuses dont on surcharge trop souvent aujourd’hui les biographies des hommes célèbres. Les anecdotes, quand l’authenticité n’en est point suspecte, sont une source toujours féconde d’intérêt, et celles qui sont relatives à notre érudit ont l’avantage de le faire connaître et de le faire aimer. Suivant la juste remarque de M. Fougère, Du Cange se rattache à la fois, par ses côtés les plus saillans, au XVIe et au XVIIe siècle : il a l’esprit tenace et investigateur des savans de la renaissance, leur opiniâtreté au travail, leur infatigable curiosité ; mais il n’a rien de leur pédantisme, rien de leurs passions politiques et religieuses, et par le calme de son esprit, l’exquise politesse des manières, l’aménité des relations et surtout le bon sens pratique, il appartient tout entier à l’époque de Louis XIV, moins le jansénisme et les souvenirs de la fronde. Sans ambition, sans prétention, étranger, comme le dit Morin, à cette maladie du bel esprit qui fait qu’on se montre partout, il ne cherchait dans l’étude « qu’un passe-temps honnête et agréable, » et il répétait souvent :