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Or que résulte-t-il des débats qui viennent d’avoir lieu à La Haye ? Sans parler des points secondaires ou spéciaux de cette discussion consistant à savoir si la loi française de germinal an X conservait sa force en Hollande et dans quelle mesure elle était appliquée, si le concordat de 1827 existait légalement ou s’il n’était qu’une lettre morte, le projet du gouvernement hollandais soulevait plusieurs questions des plus sérieuses qui peuvent se résumer en ceci : — La loi était-elle constitutionnelle d’abord ? Secondement, était-elle nécessaire ? Quant au caractère constitutionnel de la loi, le gouvernement et ses partisans ne le mettaient point en doute ; ils maintenaient le droit inhérent à l’autorité publique d’intervenir par sa surveillance dans l’organisation et dans l’exercice des divers cultes. Ce droit, les adversaires du projet ne l’eussent point nié peut-être absolument en principe ; mais, à leurs yeux, ce qui était dans la loi fondamentale, c’était le droit d’intervention de l’état par voie répressive, et non par voie de prévention, comme l’établissait la législation nouvelle. Prétendre s’immiscer à un titre quelconque dans l’organisation des divers cultes en présence de la constitution, qui proclame la liberté religieuse, c’était se mettre en contradiction avec le droit public inauguré en 1848. C’est toujours, comme on voit, l’éternel et insoluble problème de la réglementation de la liberté, — problème insoluble, disons-nous, tant qu’on se débat avec des théories, et qui n’est susceptible de solutions pratiques que dans les faits, à la lumière de l’expérience. Quant à la nécessité et à l’opportunité de la loi, c’était peut-être le point le plus gravé.

Le gouvernement, pour sa part, n’hésitait pas à considérer cette nécessité comme pleinement démontrée par les faits mêmes qui s’étaient produite, par l’agitation qui s’était propagée soudainement en Hollande à la suite de l’organisation du culte catholique. Seulement ici encore les partisans et les adversaires de la loi ne pouvaient pas s’accorder davantage. Là où les premiers avaient vu une agitation sérieuse et profonde, les seconds voyaient une émotion réelle sans doute, mais singulièrement exagérée dans un intérêt politique, afin d’arriver à un changement dans la direction des affaires générales du pays, ce qui s’était réalisé en effet par l’avènement d’un nouveau ministère. La loi nouvelle était donc une loi de tendance, de parti ; pour un avantage douteux, pour donner satisfaction aux susceptibilités d’une fraction de l’opinion, elle risquait de froisser une autre traction considérable de la population, et de plus la mesure prise aujourd’hui en vue des catholiques se retournerait demain infailliblement contre toutes les communions. C’était justement ce caractère de loi de tendance que repoussait le gouvernement, en ajoutant qu’il n’avait fait que s’interposer dans la crise religieuse en conciliateur, afin de prévenir le retour d’agitations de ce genre, il faut dire du reste que, sans abandonner le principe de la loi, le gouvernement s’appliquait à en atténuer la portée dans l’application, en désavouant toute pensée d’immixtion dans l’organisation intérieure des cultes. Ce sont là quelques-uns des traits principaux de cette grande discussion, qui tenait en suspens de si sérieux intérêts, et à laquelle prenaient part, — d’un côté, le ministre des affaires étrangères, M. van Hall, le ministre de la justice, M. Douker Curtius, MM. Groen, van Lynden, Mackay, — de l’autre, les anciens ministres, MM. Thorbecke, van Bosse, Strens, et les députés catholiques, MM. Luyben, van Nyspen, Meeussen.