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l’Angleterre n’eût refusé pour sa part de laisser s’accomplir, il y a quelque temps, le passage projeté des Dardanelles par les flottes combinées, — passage que le cabinet de Saint-Pétersbourg, au reste, a cru un moment réalisé. Cela indique assez toutes les transformations, toutes les crises par lesquelles peut avoir encore à passer cette éternelle et énigmatique question d’Orient.

Si les difficultés s’élèvent aujourd’hui en Europe, ce n’est point certes qu’on les appelle et qu’on se plaise à les rechercher : elles naissent souvent de causes plus fortes que les volontés ; elles sont le produit du choc inévitable des intérêts et des tendances nationales, et c’est ce qui crée parfois un si singulier contraste entre le mouvement des choses extérieures et l’existence intérieure de chaque pays. Ici, après l’excès des agitations passées, tout est redevenu calme. La lassitude et le déplacement de toutes les conditions politiques ont amené cet état si difficile à décrire, et qui ne s’explique que par le besoin du repos. Qu’on observe la France : quelques élections de membres du corps législatif viennent de se faire, et c’est à peine si on y a songé. Du reste, les candidats du gouvernement étaient à peu près sans concurrens. Autrefois une élection devenait facilement un champ de bataille : c’était tout simple, il s’agissait de soutenir ou d’attaquer une politique, d’envoyer un auxiliaire ou un antagoniste à un ministère ; aujourd’hui ce n’est point un député, on le sait, qui peut changer une politique ni même un cabinet. Les conseils généraux viennent aussi d’avoir leur session annuelle, et le bruit de leurs travaux n’a guère dépassé l’enceinte locale. L’un d’eux, celui de l’Hérault, a renouvelé son vote habituel en faveur de la liberté commerciale, et il y a joint cette année un vœu pour l’abolition de l’échelle mobile qui règle le commerce des céréales : vœu de circonstance, car en définitive, au milieu de la stagnation politique, dans l’absence d’événemens intérieurs propres à émouvoir fortement l’attention, quel est le fait plus capable d’exciter un intérêt réel et sérieux que cette question des subsistances qui s’est réveillée récemment ?

Ce n’est point d’aujourd’hui qu’on s’est inquiété de l’insuffisance des dernières récoltes en France ; voici quelque temps que l’incertitude se prolonge. Dans ces derniers jours, la préoccupation a redoublé, et il n’est point même impossible que l’exagération s’en mêlant, les calculs du déficit probable dans la production des céréales n’aient dépassé la réalité ! Toujours est-il que le pays s’est senti menacé, que le prix des grains a haussé partout, et que la sollicitude du gouvernement a dû naturellement se porter sur une telle situation. Le gouvernement a fait la seule chose qu’il pût faire : il a rendu divers décrets abolissant certaines prohibitions, réduisant les droits d’entrée, provoquant l’abaissement du prix de transport des grains, farines et légumes sur les chemins de fer, affranchissant de tout droit de navigation intérieure sur les rivières et sur les canaux les bateaux chargés de ces mêmes produits. On sait bien qu’en tout le reste il serait trop périlleux pour un gouvernement de se substituer à l’action libre du commerce, — et des déclarations officielles réitérées n’ont fait que confirmer cette vérité. Le gouvernement en effet a cru devoir démentir des bruits qui avaient pu se propager sur des achats de grains faits par lui au dehors ; il s’est borné à demander à l’étranger les approvisionnemens pour l’armée et pour la marine. On peut rechercher