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le cytise et le thym, et la poule, perchée sur le toit, chantant comme ay lever du soleil, suffisaient à composer un poème dans le goût de Ruysdael ou de Teniers. À quoi bon mêler à ces épisodes de la vie champêtre le bruit du canon qui gronde dans les rues de Paris ? Le souvenir du sang versé n’est que trop vivant dans toutes les mémoires. L’intention de M. Charles Reynaud était excellente, j’en suis convaincu : il voulait opposer le calme des champs aux agitations de la ville ; peut-être eût-il agi plus sûrement en nous offrant le tableau fidèle de ce qu’il avait vu. L’esprit du lecteur eût tiré sans effort la moralité de cette peinture.

Les pièces adressées à M. Ponsard, à M. Emile Augier, à M. Meissonnier, écrites dans une langue limpide, nous offrent l’expression d’une amitié sincère. Heureux, trois fois heureux ceux qui ont inspiré et savent garder une telle amitié ! La pièce adressée à M. Emile Augier se distingue par un accent particulier. M. Charles Reynaud remercie son ami de lui avoir enseigné l’art des vers. Je ne m’étonne pas qu’il juge son maître avec une extrême indulgence, qu’il le félicite d’avoir associé dans une harmonieuse unité la franchise de Regnier à l’élégance d’André Chénier. Si tel est le but que se propose M. Emile Augier, et je le crois volontiers, ses amis doivent lui dire qu’il ne l’a pas encore touché. Et d’ailleurs, en supposant même qu’il eût résolu ce problème difficile, il resterait à savoir si la solution de ce problème importe vraiment à la comédie. Pour ma part, je me permets d’en douter. Certes, et Molière nous en offre des preuves nombreuses, dans l’action comique engagée de la manière la plus vive, il y a des momens ou les personnages sont amenés à expliquer leur pensée intime sans avoir devant eux aucun interlocuteur ; c’est ce qu’on appelle penser tout haut ; mais dans ces momens mêmes il n’est pas bon, à mon avis du moins, que ce personnage par le comme un poète de profession. Molière a fait plus d’un emprunt à Régnier, et je crois qu’il a très sagement agi ; quant à Chénier, je ne pense pas qu’il ait droit de bourgeoisie dans le style comique. Lors même qu’il s’agit de l’expression de la passion, il n’est passage d’emprunter le langage des poètes Lyriques, et chacun sait que la passion n’occupe jamais qu’un rang secondaire dans une action destinée à la peinture du ridicule ; mais c’est insister trop longtemps sur une erreur de goût excusée par l’amitié.

Ce que je voudrais pouvoir caractériser, c’est le sentiment de bienveillance universelle qui respire dans le dernier volume de M. Charles Reynaud. Il saisit le meilleur côté de tout homme et de toute chose. Il n’a pas pu parvenir à l’âge de trente-cinq ans sans subir plus d’un mécompte, sans voir s’attiédir bien des amitiés qui promettaient de demeurer ferventes et fidèles ; mais il garde pour lui seul les mé-