Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

minons pourtant les pièces du procès et ne prononçons pas légèrement. Voici MM. Ponsard et Leconte de Lisle qui prétendent, chacun à sa manière, réveiller en nous le sentiment et l’intelligence de l’antiquité. Qu’ils soient les bienvenus, s’ils ont compris la supériorité de la pensée sur la forme, s’ils n’ont pas confondu l’écorce avec l’aubier.

Les mystères de la religion chrétienne, déclarés à tout jamais rebelles à la poésie par un esprit ingénieux, dont les arrêts étaient acceptés par les contemporains de Racine et de Molière comme des vérités à l’abri de toute discussion, ont tenté parmi nous plus d’une âme fervente, où la religion se concilie avec le culte de l’art. Les dangers signalés se sont évanouis devant le désir de rallier la foule à la foi par le charme de l’imagination. M. Victor de Laprade est entré dans cette voie nouvelle, et ses efforts ont droit à toute notre attention. Il essaie dans le domaine poétique pour la tradition chrétienne ce que MM. Ponsard et Leconte de Lisle ont essayé pour la tradition païenne. Pour juger avec impartialité cette périlleuse entreprise, il convient, je crois, de l’envisager sous l’aspect purement littéraire. Si nous abordions l’autre côté de la question, l’impartialité serait trop difficile. Nous risquerions de mécontenter, d’irriter peut-être les esprits chez qui la foi domine tous les problèmes philosophiques et littéraires, et de paraître injuste à ceux qui, tout en acceptant la tradition chrétienne, n’ont pas renoncé à l’exercice de la raison et du goût. J’essaierai donc de parler librement de M. Victor de Laprade.

Enfin la poésie personnelle, qui a tenu sous la restauration une si large place dans notre littérature, se métamorphose aujourd’hui. Au lieu de nous entretenir sans relâche de l’isolement des âmes d’élite, du néant désaffections humaines, de la nature sourde a nos plaintes et à nos questions, elle consent à célébrer les joies de la famille, le calme du foyer domestique, la sérénité de la vie champêtre, les consolations de l’amitié. Nous saluons avec bonheur cette transformation. Sans prétendre au don de prophétie, nous avions prévu depuis longtemps que la poésie personnelle épuiserait bientôt le thème qu’elle avait choisi, et s’il nous est permis de citer une preuve à l’appui de notre affirmation, nous rappellerons que nous avions deviné le caractère poétique de Jocelyn avant d’en avoir lu le premier vers, avant même que le premier vers fût imprimé. Pour prévoir la signification de ce poème, il ne fallait pas une grande pénétration ; aussi croyons-nous pouvoir invoquer ce souvenir sans manquer aux lois de la modestie : il suffisait, pour me servir d’une expression vulgaire, d’avoir tâté le pouls de l’opinion publique. La foule témoignait chaque jour une indifférence de plus en plus marquée pour la poé-