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pu se perdre Chactas et Atala. J’aperçois ces flancs mystérieuses qui éveillent, en se pendant aux rameaux vigoureux des chênes dont elles semblent aspirer la vie, des idées d’impérieuses et sensuelles amours. Nous pénétrons dans un vrai chaos de verdure. Tout à coup le sol se rétrécit sous nos pieds ; peu à peu il devient un sentier qui, d’un côté, est dominé par des rochers couverts d’une inextricable végétation, et qui, de l’autre, domine un ravin où les eaux d’un torrent cordent entre des troncs d’arbres et des bruyères.

C’est à travers ces aspects changeans que nous arrivons aux lieux où l’expédition doit finir, dans le pays des deux tribus qui ne sont point venues se soumettre encore, les Beni-Affeur et les Beni-Zdeur. Nous avions rêvé dans ces contrées des combats que nous ne trouvons point. La décision de notre marche, la promptitude de nos succès, ont jeté le découragement chez les Kabyles. Beni-Affeur et Beni-Zdeur accourent à notre camp ; nous ont compris qu’il n’y avait pas à lutter contre des gens qui tombaient sur eux des sommets mêmes de leurs montagnes. On reçoit leurs moutons, leurs boeufs, leurs poules, et on leur accorde l’aman ; mais on veut que leur pays conserve une trace ineffaçable de notre passage. Sur un ordre du gouverneur, nos bataillons quittent le fusil, prennent la pioche, et entreprennent avec un incroyable élan une œuvre immense qui est accomplie en quelques jours. À travers une véritable confusion de bois, de rochers et de montagnes, ils pratiquent une route où des voitures pourraient s’engager. Je n’oublierai jamais ce qu’ont été nos soldats dans cette tâche, qui exigeait d’eux la plus difficile espèce de dévouement. Je ne veux insulter à aucun temps, à aucune pensée, à aucun homme, car je désire qu’on respire dans ces pages une seule passion : mais je n’ai pu m’empêcher pourtant, à l’aspect de ces travailleurs, de songer aux travailleurs d’une si différente espèce que j’ai vus à une époque récente. Ce travail qui mérite vraiment d’être glorifié, ce travail que depuis bien longtemps la religion elle-même a élevé à la dignité de la prière, je l’avais enfin sous les yeux : il m’apparaissait avec ses purifiâmes ardeurs, avec son courage sacré, avec sa patience bénie.

Le jour où la route qui relie maintenant Constantine à Djigelli fut praticable, le gouverneur voulut juger par lui-même de cette voie presque en même temps ébauchée et finie. Zouaves, chasseurs à pied, soldats de tous les régimens, se tenaient sur son passage, la pioche à la main, la tête découverte, offrant avec insouciance au soleil leurs fronts où ruisselait la sueur. Sur cette longue ligne où résonnait l’accent du clairon, on rencontrait un même entrain, une même gaieté, un même sourire. Pas un visage où ne fût empreinte