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où toutes les rêveries retrouvent des chemins qu’elles ont par courus. Puis, au sortir des montagnes kabyles, cette région aimée des poètes semble nous rendre la grâce attique ; elle nous rappelle mille tendres souvenirs, elle nous dit mille noms chéris. Notre bivouac est près de la plage ; il s’appelle Sidi-Rhean, ce qui veut dire, je crois, « le seigneur des myrtes. » Ainsi s’appelait un marabout qui a son tombeau entre les montagnes et les vagues. Ce lieu est peuplé de myrtes en effet, qui se mêlent à des lauriers-roses, à des orangers et à des grenadiers. Des eaux vives sillonnent cette terre ombragée. Quoique la nuit soit encore loin de nous, le ciel est voilé. Le paysage me semble gagner à la lumière attendrie où se noient tous ses contours ; il a quelque chose en même temps de païen et de mystique. Presque toujours les lieux évoquent pour moi un souvenir humain. C’est à Fénelon que me fait songer cette belle et rêveuse campagne. — Ainsi se confondent les grâces de deux mondes dans les pages où ce divin esprit a laissé sa plus vive empreinte. Je croyais avoir trouvé à Sidi-Rhean le pays que tous les voyageurs attendent, et attendent en vain bien souvent, pour dire : « Voilà ce que je cherchais ! » Mais je devais voir l’Oued-Agrioun.

L’Oued-Agrioun est une sorte de fleuve qui se jette dans la Méditerranée. C’est sur ses rives que nous allons camper au sortir de Sidi-Rhean. On peut dire que notre nouveau bivouac nous offre tout ce que peuvent souhaiter les yeux. D’un côté la mer nous apparaît entre deux collines, de l’autre s’étend devant nous une vallée qui est une véritable Tempé. C’est bien un de ces paysages qu’évoquait Poussin dans les grandioses rêveries de son pinceau. À travers des prairies d’un vert sombre coule une onde que bordent des touffes de laurier-rose, et qu’ombragent ça et là quelques bouquets d’arbres à l’opaque feuillée. Le sol présente partout des effets semblables à ceux que l’art produit à grand’ peine dans nos parcs. Des rochers couverts d’une végétation épaisse forment des grottes où l’imagination place des scènes tendres et merveilleuses. Des orangers, des citronniers et des myrtes composent des bosquets où l’Albane pourrait loger tous ses Amours. De distance en distance, des chênes déploient la pompe de leur grande taille et de leur opulente chevelure. Parfois quelques trembles, qui ressemblent à d’ascétiques rêveurs égarés dans des régions voluptueuses, élèvent au-dessus des plantes odorantes leur front pâle et élancé. Le regard va se perdre à l’horizon sur une chaîne de hauteurs boisées qui ont une douceur de colline et une majesté de montagne. Je ne sais pas comment est la véritable Grèce ; mais ce pays-là est à coup sûr la Grèce de nos esprits, la Grèce des poètes. De pareils lieux inspirent, suivant moi, comme toutes les apparitions dans