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Sur un tapis paré de ces éclatantes couleurs qu’on ne trouve qu’au pays de la lumière, le général Rivet était couché à côté de Tagini. Tout autour de l’appartement se tenaient assis ou accroupis, pour mieux dire, des officiers français à qui des serviteurs arabes offraient d’innombrables lasses de thé et de café. C’est du thé surtout que j’ai conservé la mémoire. Une sorte d’échanson coiffé d’un turban blanc et vêtu d’une tunique rouge-pâle me présentait à chaque instant une nouvelle coupe de ce breuvage, et semblait éprouver une indignation mêlée de tristesse, si je me refusais à vider son calice. Je me résignais, et je crois pourtant qu’il me faisait avaler un philtre diabolique, car je n’ai jamais bu un thé qui m’ait paru d’une fabrication plus compliquée ; des plantes de toute nature confondaient leurs aromes dans cette bizarre décoction. Mais on devait bientôt nous servir une série de plats propres à faire disparaître de nos gosiers la plus violente espèce de goûts. La cuisine indienne ne peut pas renfermer plus d’élémens incendiaires que n’en avait entassés dans ses mets le maître d’hôtel du marabout. L’eau qu’on nous présentait dans des tasses d’argent à fleurs ciselées, ou dans des carafes de cristal au col élancé et délicat, ne suffisait pas à éteindre la soif inextinguible dont nous étions dévorés, et cependant nous ne pouvions nous rassasier de ces brûlans ragoûts. On aura beau faire, Manon Lescaut nous plaira toujours mille fois plus que Paul et Virginie. Il y a dans les choses ardentes une attraction qu’il faut se résigner à subir. Il n’est pas un de nous que n’ait séduit la cuisine passionnée de Tagini.

Quand le repas fui fini, notre hôte se leva et se fit apporter de merveilleux tissus qu’il déroula complaisamment devant nous : c’étaient des tapis qu’il offrait au général Rivet. Il accompagna son présent de ces paroles où se déploie dans toute sa grâce la politesse arabe. Il parla de sa tendresse pour ses hôtes, de son amour pour la France, de son désir d’avoir encore un jour le bonheur de nous posséder dans son logis. Nous ne reverrons plus maintenant cette créature humaine avec qui nous avons échangé d’affectueux sourires, et je dois dire que cette pensée ne m’inspire pas une bien profonde mélancolie. J’aime assez à voir procéder la vie comme les drames de Shakspeare. À côté de ces personnages dont le rôle, si long qu’il soit, ne me lassera jamais, je ne hais point ces personnages épisodiques qui disent quelques mots et se retirent. Je suis fort content d’avoir vu et très résigné à ne plus revoir le marabout d’Aïn-Maidi.

Malgré le soleil, qui dardait sur nos cervelles ses traits les plus enflammés, je voulus, avant de me mettre en route, visiter la ville où le hasard des voyages m’avait conduit. Je me promenai dans des rues désertes bordées de maisons presque aussi ruinées que celles