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au milieu d’un bois de chênes et d’oliviers. Une véritable nuit africaine, une de ces nuits qui rappellent les mages, étendait au-dessus de nous des ombres bleues que des étoiles doucement curieuses semblaient chercher à percer avec le long regard de leurs yeux d’or. De loin en loin, des voix d’Arabes s’appelaient avec cet accent prolongé, particulier aux nomades du sud, qui semble chercher à se modeler sur l’étendue des longues plaines. Notre camp fut bientôt éclairé de feux pétillans et clairs rappelant dans cette solitude les joies babillardes du foyer. Cette soirée, qu’aucun événement n’a marquée, gardera pourtant une place dans mes souvenirs. Il y a des heures qui ressemblent à ces amis que nous chérissons souvent entre tous les autres, quoiqu’ils ne nous aient rendu aucun service : elles nous ont conquis d’un sourire, et, quel que soit le souci qui nous occupe, quand elles se présentent à notre pensée, elles trouvent toujours leur bienvenue.

Cétait la route de Boghar que le général Rivet avait choisie pour nous conduire à Laghouath. Boghar est sur la frontière du Tell : du rocher où il s’élève, le regard embrasse tout le désert des Angades. Ce fut à quatre heures que j’abordai cette région nouvelle, qui n’est pas encore le vrai désert, mais qui porte déjà un autre caractère que le pays où jaunissent les épis. Je commençai à apercevoir ces grandes flaques de sable qui semblent pleurer l’océan, ces fragmens de rochers répandus au hasard, comme les débris d’une gigantesque bataille, et ces mornes espaces couverts d’une herbe rare et brûlée d’où ne s’élève aucun chant d’oiseau. Cette contrée, hostile à toute existence terrestre, est comme une lice où la lumière se livre avec emportement à ses ébats. On dirait, pour employer une comparaison classique, que là bondissent à leur gré, en faisant tomber des étincelles de leurs chevelures, tous les coursiers du Soleil. Rien de plus favorable d’ailleurs à ce pays que l’heure à laquelle il m’apparaissait. Quelque immense et mystérieuse ville, une Thèbes, une Babylone, une Palmyre, semblait brûler à l’horizon, où un éblouissant amas de formes confuses nageait dans des clartés d’incendie. Le sol uni et lumineux me faisait songer aux miroirs magiques. Nos ombres et celles de nos chevaux prenaient quelque chose de cabalistique en s’y projetant. De grands troupeaux d’êtres bizarres, dessinant leurs étranges silhouettes sur le fond de cet éclatant tableau, s’offrirent à nos yeux : c’étaient les chameaux destinés aux besoins de notre convoi. Notre bivouac au désert des Angades ne rappela guère notre bivouac de la forêt. Nous avions flanchi en quelques heures les limites de deux mondes ; nous avions quitté le Tell pour le désert.

Je suis étonné que les anciens, qui taillaient dans l’univers entier des fiefs pour leurs dieux, n’aient placé sous aucune royauté ces solitudes