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un langage digne et amer, l’idée générale de l’ouvrage lui était sévèrement appliquée. Cette idée, la voici : les anciens partis, dont la formation et la conduite devaient être cherchées dans l’histoire, n’existent plus, car ils n’ont plus de raisons d’être ; leur nom même n’a plus de sens. S’ils semblent subsister encore, leur existence, fondée sur des intérêts, non sur des principes, est tout artificielle ; elle est l’ouvrage d’une politique qui divise pour dominer et qui corrompt pour diviser, et comme la corruption asservit ceux qu’elle atteint, les garanties de la liberté sont anéanties, la constitution menace de s’écrouler. Ces considérations, où le mauvais côté de l’administration de Walpole est décrit avec vérité, mais avec grande exagération, s’appliqueraient dans une certaine mesure à toutes les administrations anglaises. On peut toujours soutenir que la division des partis a quelque chose de factice, que l’intérêt y joue un trop grand rôle, et que les engagemens qui unissent, la majorité au pouvoir affaiblissent la puissance du contrôle parlementaire. Il y a de cela, mais il y a autre chose ; voilà le mal, mais il y a le bien. Sur la proposition des deux élémens roule la controverse qui fait le fond permanent d’un régime de liberté. Corrupteur qui abuse de l’un, réformateur qui fortifie l’autre : entre ces deux caractères oscillent tous les cabinets : mais la vertu profonde du gouvernement représentatif, c’est qu’il institue une lutte dans laquelle le bien, après un peu de temps, doit dominer le mal, et que les passions et les intérêts auxquels il fait leur place ne sont pas seulement des causes de corruption, mais deviennent aussi des moyens de gouvernement et des moyens de résistance. Walpole sans doute pencha dans le sens de la corruption, il contribua à établir, à outrer même cet esprit de parti systématique, tolérable seulement jusqu’à un certain point, et qu’en Angleterre on a pourtant exagéré moins qu’en France. Ainsi, toute déduction faite du faux que la partialité mêle au vrai, les réflexions de Bolingbroke ont un fond de justesse ; elles sont un préservatif contre les abus du gouvernement constitutionnel. Il y aurait plus à dire contre la conclusion pratique qu’il en voulait tirer. Toute sa polémique n’avait qu’un objet, la fusion des partis indépendans : jacobites, tories, whigs détachés, républicains, tous devaient oublier leurs origines et leurs querelles pour s’unir dans une opposition commune avec ce mot d’ordre, — la pureté de la constitution.

Le mot était beau, seulement l’armée ne valait pas le drapeau. La coalition que la pensée de Bolingbroke avait formée prétendait n’avoir plus qu’un principe, le bien public. Ceux qui la composaient n’acceptaient plus qu’un nom, celui de patriotes. Sous ce pavillon neutre et honoré, tout le monde pouvait se rallier. Les