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lecteur trop de complaisance. Aussi les chefs-d’œuvre de la presse politique obtiennent-ils rarement un succès durable et sont-ils souvent condamnés à l’oubli. Les anciens seuls ont assuré l’immortalité à leurs pensées d’un jour.

Les écrits politiques de Bolinghroke, sans être des chefs-d’œuvre, ont pourtant un vrai mérite. On y trouve de l’esprit et des idées, un style élégant et animé. La verve de l’écrivain rappelle celle de l’orateur et les traits satiriques, sans être du premier choix, se distinguent par une facilité piquante et dédaigneuse qui sent l’homme du grand monde. L’auteur montre une connaissance assez étendue de l’histoire politique, et sur tous les sujets un fond de réflexions qui se placent à propos et ne semblent pas improvisées pour les besoins de la cause ; mais une droiture de sens et une clarté d’exposition, une vigueur et une suite dans le raisonnement, une manière saisissante et concluante de penser et de dire qui fait les pamphlets du premier ordre, voilà ce qui ne se retrouve pas toujours dans les siens. Sa raison est comme lui-même, elle manque de conscience, et s’il est assez adroit pour troubler la conviction, il est rarement assez fort pour l’imposer.

Les moins remarquables de ses articles, on s’en étonnera peut-être, me paraissent ceux où il traite des affaires étrangères. De 1727 à 1730, la question principale fut de savoir comment on viendrait à bout de soumettre au joug de la paix générale les ressentimens et les prétentions de l’Espagne. À l’alliance offensive qu’elle était parvenue à former à Vienne en 1725, on avait répondu par le traité de Hanovre, qui associait la France, l’Angleterre, la Prusse et la Hollande. Cette ligue intimida l’Autriche, qui se détacha en mai 1727 ; une trêve fut souscrite, et l’année suivante Philippe V signa les préliminaires d’une paix dont il renvoya la conclusion au congrès général. Ce congrès, qui se tint à Soissons, n’aurait peut-être rien fini, si William Stanhope n’eût réussi a négocier en Espagne le traité de Séville, qui termina le différend à la satisfaction de l’Angleterre (novembre 1729). Cette succession de négociations partielles et provisoires prête bien aux critiques de Bolingbroke ; mais comme au fond il n’oppose pas la guerre à la paix ni système à système, il attaque plutôt les épisodes que l’ensemble, plutôt les argumens ministériels que les ministres. Il cherche plutôt à diminuer leur mérite qu’à contester l’utilité de leurs œuvres. Il paraît même que, par une lettre à demi publique aux tories, il avait défendu la trêve de 1727, et les dissertations que sous le nom de John Trot ou d’autres noms il inséra dans le Craftsman contiennent plutôt des observations de détail que de nouvelles solutions diplomatiques. Une rédaction heureuse et