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incapable de siéger au parlement et de remplir aucun office à la nomination du roi. On dit, au reste, qu’il avait la parole de George Ier que jamais Bolingbroke ne recouvrerait aucune situation politique, et que rien ne lui serait accordé au-delà des droits de la vie civile. En effet, l’amnistié n’obtint jamais plus que ce qui lui fut en ce moment rendu, c’est-à-dire 120,000 francs de rentes et la faculté de recueillir la succession de son père, sans même en pouvoir disposer, les biens devant tous, après ce dernier, passeur à ses héritiers naturels. Ces restrictions le blessèrent profondément, et la situation équivoque qui lui fut faite jeta beaucoup d’amertume dans toute sa vie. Il se crut dégagé de toute reconnaissance envers Walpole, et il ne tarda pas beaucoup à lui en donner la preuve. La conduite du puissant, ministre paraîtra peu généreuse ; il avait longtemps résisté ; cependant nous savons par son fils que c’est contre le vœu de son parti, contre les instances de sa famille et de ses amis, qu’il consentit au rappel de Bolingbroke, aimant mieux transiger que rompre avec la duchesse de Kendal. Il n’était ni cruel, ni persécuteur, ni même vindicatif ; mais il ne se piquait pas d’une magnanimité chevaleresque, et jamais, pour obtenir des louanges qu’il trouvait frivoles, il ne se serait de gaieté de cœur créé un obstacle de plus dans la carrière du pouvoir. Il eût regardé comme une duperie de retirer ses ennemis du néant.


XX

De retour dans sa patrie, Bolingbroke songea à s’arranger une nouvelle existence dans les conditions qui lui étaient imposées. « Je suis aux deux tiers restauré, » écrivait-il à Swift. Comme son père vivait, il n’avait point de domaine et d’habitation ; il acheta de lord Tankerville le domaine de Dawley, près d’ Uxbridge en Middlesex, et s’y établit. Il renoua toutes ses relations littéraires, se lia plus étroitement avec Pope, et répéta qu’il ne se mêlerait pas des affaires du gouvernement. On rapporte pourtant que peu de jours avant le, départ de l’abbé Alary pour la France, il lui confia qu’il ne pouvait refuser ses conseils aux instances des tories. « Adieu donc, monsieur, lui dit l’abbé, car vous pouvez vous perdre. » Il parait qu’à dater de cette époque leurs relations languirent et cessèrent bientôt tout à fait, quoique l’abbé ne soit mort qu’en 1770.

Le premier mouvement de Bolingbroke fut de s’ensevelir dans la retraite, il en affecta du moins le projet. Il disposa son nouveau manoir comme une ferme ornée, s’entoura d’animaux domestiques, d’instrumens d’agriculture, suivit des chasses à cheval, se refit enfin