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appelait indifféremment Mme de Bolingbroke et la marquise de Valette. À ce voyage se rattache une anecdote du temps. La marquise demanda à Mme de Ferriol, restée, par la mort de son beau-frère du même nom, la protectrice peu généreuse de Mlle Aïssé, la permission d’emmener avec elle la pauvre affranchie. C’était le temps de la passion du chevalier d’Aydie. On partit en apparence pour l’Angleterre ; mais Aïssé fut laissée secrètement dans une maison des faubourgs, et bientôt une petite fille fut transportée en Angleterre, et plus tard au couvent de Notre-Dame de Sens, pour y être élevée, sous le nom de miss Black, comme une nièce de Bolingbroke, près d’une fille de Mme de Villette. C’est l’enfant dont Aïssé parle d’une manière touchante dans ses charmantes lettres, et que le chevalier d’Aydie n’abandonna pas après la mort de sa mère. Lady Bolingbroke poursuivit son voyage, et pour mieux cacher le secret du service que rendait leur amitié, son mari écrivait de La Source à Mme de Ferriol : « Avez-vous eu des nouvelles d’Aïssé ? La marquise m’écrit de Douvres. Elle y est arrivée le vendredi au soir après le passage du monde le plus favorable. La mer ne lui a causé qu’un peu de tournement de tête ; mais pour sa compagne de voyage, elle a rendu son dîner aux poissons. »

Lady Bolingbroke était amenée à Londres par l’infidélité d’un banquier qui, chargé par elle de placer 50,000 livres sterling dans les fonds publics, lui cherchait querelle sur son état, exigeait qu’elle se fît autoriser par son mari, et menaçait de révéler le fait comme une violation de la loi de confiscation. Lord Townshend, indigné de cet abus de confiance, rendit la dénonciation vaine. La marquise de Villette, qui garda prudemment ce nom, put donner ses soins aux intérêts de son mari : et quoique le roi, dans ses idées allemandes, la trouvât bavarde et peu respectueuse, elle savait si bien les moyens de gagner la duchesse de Kendal, qu’une satisfaction entière lui fut promise. Il fallut cependant attendre encore pendant près d’une année. Bolingbroke prit patience, grâce aux lettres, aux champs, à quelques amis. Il continua de s’intéresser aux travaux de la société de l’Entresol, qu’il se permettait d’égaler à l’Académie française. On voit par une lettre à Pope qu’il traça le plan d’une histoire politique de l’Europe, et de là prit naissance l’ouvrage intitulé : Lettres sur l’étude de l’histoire. La physique et la métaphysique occupaient son temps à la campagne, où il retenait Lévêque de Pouilly, homme instruit qui l’avait initié aux mathématiques et aux sciences, et qui devint un des confidens de ses idées sur la religion. C’est à lui qu’il écrivait un jour qu’il était, avec Swift et lui-même, une des trois seules personnes dignes qu’on leur confiât le gouvernement des hommes. On trouve dans ses œuvres une lettre intéressante, rédigée entre 1720