Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

possible de le servir raisonnablement. Sincère dans ses intentions, il avait dû de bonne heure cesser de l’être dans ses espérances. Peu de momens avaient suffi pour lui révéler la vanité de l’entreprise. Il était embarrassé, peut-être honteux de son rôle, et se sentait déplacé et comme abaissé dans de telles affaires. Il convient qu’il lui tardait d’en sortir, et que son projet était, après que le prétendant serait rentré dans le repos, d’aller lui redemander sa liberté. Avec de telles dispositions, il ne pouvait éviter de montrer par ses discours, et même par sa conduite, une froideur suspecte. Il ne faut pas y voir trop clair pour conspirer. Embrasser sans enthousiasme une cause perdue est insensé, et celui qui sait discerner l’impossible du possible doit se garder de servir un parti qui n’a que du zèle.

Bolingbroke dit que dès son premier entretien avec le prétendant, il comprit son imprudence ; mais qui l’obligeait à être imprudent ? Il ajoute qu’un malentendu perpétuel séparait les jacobites d’Angleterre des jacobites de France. Les premiers ne voulaient qu’opposer à un roi whig un roi tory, et lui faire leurs conditions ; les seconds avaient respiré l’air de Versailles, et ne songeaient qu’à restaurer un roi sans conditions. Comment Bolingbroke, que cette contradiction choquait, l’acceptait-il sans mot dire ? Ainsi qu’il arrive souvent, il s’engageait contre sa raison, comptant sur le hasard, espérant l’imprévu, confiant dans son esprit, voulant enfin satisfaire sa passion et occuper son temps.

Pouvait-il ignorer enfin qu’il y avait entre le descendant des Stuarts et lui une dissidence fondamentale qui devait tôt ou tard éclater ? Le prince était le fils de ce Jacques II dont un archevêque de Reims disait en le voyant sortir de sa chapelle à Saint-Germain : « Voilà un fort bon homme ; il a quitté trois royaumes pour une messe. » Et Bolingbroke, qui aux opinions des libertins du siècle joignait un protestantisme tout politique, avait au fond toujours regardé l’abjuration de la religion catholique comme une condition de la restauration. L’entraînement des affaires et l’envie de se venger le lui faisaient oublier quelquefois, ou lui fermaient les yeux sur l’invincible opiniâtreté d’une foi supérieure a la tentation même d’une couronne. Il ne pouvait lui échapper que ce pauvre prince unissait à cette foi digne de respect tous les préjugés qui ne le sont pas, et que de puérils scrupules ne lui permettraient jamais le langage et la conduite nécessaires pour rendre au moins sa présence supportable au peuple anglais. Les jacobites protestans essayaient de se faire des illusions à cet égard. On racontait qu’il avait permis au docteur Leslie de l’entretenir de religion, et de célébrer l’office anglican dans sa maison. Bolingbroke, pour excuser la légèreté avec laquelle il négligea d’approfondir la question, prétend qu’il supposa que ses amis