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projets reposaient sur lui ; il était le chef désigné du mouvement. On avait vanté à Versailles sa valeur et son ascendant, et il débarquait en fugitif sans asile dans les trois royaumes. On le vit alors de près ; on reconnut un homme brave et loyal, mais faible, vain, léger, à qui Berwick trouva fort peu de connaissance du métier de la guerre. Bolingbroke avait du malheur. Si la reine Anne eût vécu, il aurait rappelé, peut-être les Stuarts ; il espérait les ramener avec lui, si Louis XIV vivait. Louis XIV mourut le 1er septembre. « Mes espérances, dit-il, baissaient à mesure qu’il déclinait, et elles périrent quand il expira. »

Il se trouva un peu dépaysé dans la nouvelle cour. Des ministres de la régence ou de ceux qui, tenaient la place des ministres, il ne connaissait que le duc de Noailles, qui ne le reconnut plus, et le maréchal d’Huxelles, qui remplaça Torcy dans la direction des affaires étrangères, et qui du moins agit loyalement, ne lui promettant rien qui excédât la politique d’un cabinet au fond défavorable au prétendant. Le régent était naturellement porté à l’entente, même à l’alliance avec le gouvernement anglais, non-seulement parce que le penchant inévitable du nouveau régime était de se séparer en tout de l’ancien, non-seulement parce que je ne sais quel instinct de réforme après soixante ans de monarchie absolue portait les esprits à quelque intelligence des principes de la révolution anglaise, mais encore et surtout parce que, séparé du trône par la vie d’un enfant, le duc d’Orléans avait un grand et légitime intérêt à s’appuyer sur le gouvernement gardien le plus jaloux de la validité des renonciations des Bourbons d’Espagne à la couronne de France. Si Bolingbroke et les Stuarts obtinrent de lui quelques promesses rarement réalisées et des secours toujours désavoués et bientôt retirés, c’est par suite de cette détestable habitude des gouvernemens d’entrer dans tous les systèmes à la fois et d’intriguer contre leur propre politique. Avant même que le roi rendit le dernier soupir, lord Stair avait vu le duc d’Orléans et promis à la régence l’appui de l’Angleterre, moyennant l’expulsion du prétendant, d’Ormond et de Bolingbroke. On n’alla pas jusque-là : on n’était pas assez sûr de la solidité de la royauté hanovrienne ; mais on ne servit pas ses ennemis. Bolingbroke, habitué aux formes de la politique régulière, voulait traiter les affaires directement et sérieusement. Il s’entendait parfaitement avec le maréchal de Berwick, donné comme le vrai chef du parti et de l’armée du prétendant, et qui l’eût été en effet, s’il s’était agi d’une diplomatie et d’une guerre véritables. Alors aussi Bolingbroke aurait été vraiment secrétaire d’état ; mais il n’y eut jamais que des menées d’intrigans et des coups de main d’aventuriers. Avant de compromettre la personne du prétendant, son ministre