Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Paris et qu’elle avait dus lors surpris les secrets de sa politique, peut-être dans l’intérêt du gouvernement français[1]. Retiré dans la province où elle était née, il reçut à la campagne son frère, depuis évêque et cardinal, et Pont-de-Veyle, fils de sa sœur, Mme de Ferriol. Cette solitude avait peu de charme pour lui. De là il tournait vers Paris et Londres des yeux inquiets. Il n’attendait de nouvelles heureuses que celles qui le rappelleraient vers le nord, et au commencement de juillet il vit arriver un messager qui lui fit de l’Angleterre la peinture la plus encourageante, et finit par lui remettre une pressante lettre du prétendant, qu’il avait vu en passant à Commercy. Bolingbroke était au lit avec la fièvre. Il délibéra quelques instans. On lui assurait que tous ses amis étaient engagés. Il dit que le point d’honneur, le ressentiment, la curiosité, le décidèrent, et il partit sans délai pour Commercy.

Il se croyait de l’expérience, il ne se savait pas d’illusions. Jamais il n’avait attendu des merveilles de la cour exilée. Il la vit… « Mes premières conversations avec le chevalier, écrit-il à Wyndham, ne répondirent nullement à mon attente, et je vous assure en toute vérité que je commençai dès lors, sinon à me repentir de mon imprudence, du moins à être convaincu de la vôtre et de la mienne. » Que lui dit le petit-fils de Charles Ier ? « Il me parla comme un homme qui n’attendait que le moment de partir pour l’Angleterre ou l’Ecosse, mais qui ne savait pas très bien ce qu’il y allait faire. » Le besoin de tenter quelque chose et la crainte de paraître timide suffisent parfois pour conduire un homme sage à des imprudences. Le duc d’Ormond, encore en Angleterre, où il tenait fièrement maison ouverte, s’était mis à la tête du parti jacobite, et prétendait avoir un plan. Ce plan comprenait une insurrection dans le nord de l’Ecosse, promise à grand bruit, mais sur laquelle on pouvait compter, un mouvement beaucoup plus douteux dans le sud de l’île, et enfin un débarquement du prétendant, aidé par la France en navires, en hommes, en armes, en argent. Tout cela devait être simultané : c’est du moins l’opinion très juste que fit prévaloir Bolingbroke ; mais rien n’était prêt ni assuré, et moins qu’aucune chose, la plus importante, le secours de l’étranger. Bolingbroke se chargea de l’obtenir en négociant avec la cour de France, et il accepta en conséquence les sceaux de secrétaire d’état du roi Jacques III ; il partit comme son plénipotentiaire pour Paris. Singulière façon de convaincre d’imposture l’attainder qui n’était pas encore rendu, l’accusation qui n’était pas encore portée ! Quelle explication d’une telle conduite serait compatible

  1. Des écrivains placent cette entrevue à l’époque du premier voyage de Bolingbroke ; mais il est peu probable que Torcy eût ainsi aposté Mme de Tencin sur la route de l’ambassadeur de la reine Anne.