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seule fois, un soir, dans un bosquet charmant, que Rousseau a été sublime en peignant son amour, et que Mme d’Houdetot, a été émue jusqu’à avoir besoin de se souvenir de Saint-Lambert, et jusqu’à dire qu’elle ne pouvait aimer deux fois, tant elle était près de le faire. Ici, ce qui est fort différent, c’est dans plusieurs soirées que Mme d’Houdetot a dit à Rousseau qu’il était l’amant le plus tendre dont elle eût l’idée, car Rousseau n’était pour elle que l’idée d’un amant, et cet aveu, qui était fort impartial dans la bouche de Mme d’Houdetot, est un triomphe pour Rousseau, qui a l’air de se contenter de cette admiration purement littéraire. On dirait qu’il lui suffit de bien exprimer l’amour, sans se soucier beaucoup de le ressentir ou de l’inspirer. La scène des Confessions, scène unique et où Rousseau a rassemblé en une seule fois toutes ses émotions et toutes les sympathies de Mme d’Houdetot pour rendre le tableau plus vif et plus touchant, la scène des Confessions ressemble un peu à celle des rochers de Meillerie dans la Nouvelle Héloïse ; elle ne m’inquiète pourtant pas pour Mme d’Houdetot, dût-elle même se renouveler plusieurs fois ; car Mme d’Houdetot n’aime pas Rousseau. En effet, à prendre le récit de la Correspondance, la scène s’est renouvelée plusieurs fois, et par conséquent fort tempérée. Ce que Rousseau arrange en scène de drame n’était qu’une conversation prolongée et reprise, un sujet d’entretien, un exercice d’éloquence pour Rousseau et une distraction pour Mme d’Houdetot pendant l’absence de Saint-Lambert.

Le récit de la Correspondance fait partie des lettres que Rousseau avait écrites à Mme d’Houdetot et qu’il lui redemanda après leur rupture, quand Mme d’Houdetot voulut qu’il lui rendît les siennes. « Elle me dit qu’elle les avait brûlées, dit Rousseau dans ses Confessions ; j’en osai douter et j’en doute encore. Non ! on ne met point au feu de pareilles lettres. On a trouvé brûlantes celles de la Julie ; eh Dieu ! qu’aurait-on donc dit de celles-là ! Non, non, jamais celle qui peut inspirer une pareille passion n’aura le courage d’en brûler les preuves ; mais je ne crains pas non plus qu’elle en ait abusé : je ne l’en crois pas capable, et de plus j’y avais mis bon ordre. La folle, mais vive crainte d’être persiflé m’avait fait commencer cette correspondance sur un ton qui mit mes lettres à l’abri des communications. Je portai jusqu’à la tutoyer la familiarité que j’y pris dans mon ivresse. Mais quel tutoyement ! elle n’en devait sûrement pas être offensée ; » Si ces lettres, où Rousseau tutoyait Mme d’Houdetot par défiance, dit-il, et afin qu’elles ne fussent pas montrées, mais un peu aussi, selon moi, par fantaisie littéraire et pour s’exercer aux lettres de la Nouvelle Héloïse, si ces lettres ont été brûlées par Mme d’Houdetot, d’où vient donc celle qui est dans la Correspondance et d’où j’ai tiré le second récit de la scène du bosquet ? D’un brouillon de Jean-Jacques