Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1087

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais voulu faire imprimer, fuyant la célébrité littéraire, quoique entourée d’auteurs. Ces vers lui arrivaient naturellement pour exprimer les émotions de sa vie, qui fut douce et heureuse, ce qui laisse croire qu’il y a toujours dans notre destinée un peu de notre âme et de notre caractère. Ses chagrins étaient les départs de Saint-Lambert pour l’armée ; de là ces vers souvent cités, mais vraiment charmans :

L’amant que j’adore,
Prêt à me quitter,
D’un moment encore
Voudrait profiter.
Félicité vaine
Qu’on ne peut saisir,
Trop près de la peine
Pour être un plaisir !

Quand vint la révolution, les dangers du temps n’empêchèrent pas Mme d’Houdetot de songer à ses amis. Elle vint d’Eaubonne au Val, près Saint-Germain-en-Laye, voir Mme la duchesse de Poix et la comtesse de Noailles, qui s’y étaient réfugiées et y vivaient fort solitaires. Elle resta trois jours au Val, avec une insouciance du péril que ne partageaient pas ses hôtesses, et qui tenait à une sorte de difficulté qu’avait son âme de croire au mal et au malheur. En partant, elle leur donna ces vers, qui n’ont point encore été publiés :

Malgré tant de malheurs, dans une paix profonde
Je passe encore ici les momens les plus doux ;
Je puis auprès de vous oublier tout le monde :
Ce qu’il a de meilleur, je le retrouve en vous.
Ces grâces, ces vertus, dont vous êtes l’exemple,
Je les ai vu s’évanouir ;
Mais votre retraite est un temple
Où je viens encore en jouir.
Telle une colonne superbe,
Monument des jours de splendeur,
Ne peut nous dérober sous l’herbe
Le souvenir de sa candeur.
Dans votre asile solitaire,
Heureuses de nous rassembler,
Cherchons au moins à nous distraire,
Ne pouvant plus nous consoler.

La vieillesse elle-même, quoique Mme d’Houdetot en ressentit les inconvéniens, ne la corrigea point de cet optimisme, ou plutôt de cette disposition au bonheur qu’elle prenait dans la douceur de son âme. Voici comme elle parle de la vieillesse dans des vers fort spirituels, qui sont les derniers que je citerai :

Oh ! le bon temps que la vieillesse !
Ce qui fut plaisir est tristesse,