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ainsi dans une forêt du Mexique. Somme toute, cette danse du rancho était plus curieuse que le bal de l’Opéra.


20 janvier.

Pendant la nuit, nous avons commencé à nous élever ; l’air est devenu plus léger. Je vois l’Orizaba resplendir aux feux du soleil levant. Sa forme volcanique et son sommet neigeux rappellent un peu l’Etna ; mais il est presque deux fois plus élevé. C’est le Vésuve en hiver perché sur le Mont-Blanc.

La route monte à travers un fouillis de végétation d’un aspect tout nouveau pour moi. Je remarque des arbres couverts de belles fleurs rouges que j’ai vues en Europe dans les serres chaudes, et qui brillent ici au soleil. De loin en loin se présentent des habitations indiennes avec leurs murs à claire-voie ; sur la route, des hommes à pied et à cheval passent enveloppés dans leur sarapé rayé, et ayant par-dessus leur pantalon un second pantalon plus large et ouvrant sur les côtés. D’autres portent des fardeaux sur la tête ; hommes et femmes, la plupart du temps, courent ainsi chargés. On dit même qu’ils ont besoin d’un fardeau pour bien courir, et que, quand ils accompagnent une voiture remplie de bagages, ils ont coutume de prendre une malle et de la mettre sur leurs épaules pour se tenir en haleine. Quelquefois une pauvre Indienne, outre le fardeau retenu par une courroie qui lui serre le front, porte sur son dos, enveloppé dans un linge, son enfant, dont on voit les petits pieds passer. C’est la première fois que je me trouve en Amérique au milieu d’une population réellement différente, par l’aspect extérieur, des populations européennes, que je vois des costumes et des habitations qui ne ressemblent pas aux nôtres. Il est si difficile aujourd’hui de se dépayser ; il faut aller si loin pour sortir de chez soi !

À travers cet amusement de la surprise et de la nouveauté, nous arrivons à Lalapa, dont les environs sont ravissans, et qui n’a qu’un inconvénient, c’est d’être la patrie du jalap. Ce nom médicinal gâte un peu pour mon imagination le charme des vallons remplis d’orangers et du frais paysage au milieu duquel la ville est placée. Après Jalapa la nature s’agrandit et devient plus sévère. Les montagnes ressemblent à celles de l’Andalousie, seulement elles sont moins arides ; à une montée, nous avions à nos pieds une vaste étendue de pays, enceintrée de pentes magnifiques, sur lesquelles glissait dans le lointain une cascade à peine visible. Au bord de la route croissaient des cactus et des aloès[1]. Au sommet était une forêt d’arbres toujours verts. À mesure qu’on s’élève, près de la végétation tropicale

  1. J’appelle ainsi l’agave americana, qui porte au Mexique le nom de maguey, pour éviter en français le pédantisme d’un nom latin ou d’un nom mexicain.