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parce que l’œil nu les yeux ne seront pas ajustés convenablement pour lui, et cette confusion fera sentir la différence de distance. Tout écrivain qui tient une plume à la main peut faire l’expérience que voici. Tenez le bec de votre plume entre le papier qui porte l’écriture et votre œil, à peu près à moitié de la distance. Vous expérimenterez le plus simplement du monde que quand votre regard et votre attention se portent sur la plume, l’écriture parait confuse et ne se lit pas, tandis que si l’on veut lire l’écriture sur le papier, la pointe de la plume parait confuse et émoussée.

Si donc un objet est placé devant un autre qui lui serve de fond, quelque petite que soit leur distance (à moins qu’ils ne soient tous les deux hors de la bonne portée de la vue), répétons que ces deux objets ne se peindront pas dans nos yeux avec la même netteté, et qu’il y aura une différence entre la sensation de l’un et de l’autre, différence de sensation qui nous les fera tout naturellement distinguer sans avoir recours à l’idée de l’air interposé. Cette idée de l’air interposé doit donc se traduire dans le langage précis de la science par l’idée d’une différence de distance accusée par une différence d’impression sur l’organe. On sera donc averti très simplement que l’objet est plus près que le fond, et par suite il se détachera de ce fond. De plus, si l’objet est isolé, les parties les plus éloignées seront distinctes des plus voisines. Elles fuiront, elles tourneront, suivant des expressions consacrées ; le corps prendra du relief, l’organe sentira la nature dans tous ses détails. À la distance où l’on écrit, il ne faut pas avoir une vue exceptionnellement bonne pour distinguer une feuille de papier posée sur une autre, même du côté où aucune ombre, aucune différence de teinte n’est observable.

Par quels termes rendre plus claire cette théorie ? L’œil, par le plus ou moins de netteté, perçoit les distances et les juge, comme le tact les fait sentir au moyen du bras qui s’allonge plus ou moins pour obtenir la sensation d’un objet plus ou moins voisin. Une fois la perception de la distance admise, on fera la différence entre l’objet et le fond sur lequel il est projeté. Cet objet saillira donc en avant de ce fond ; rien ne semble plus clair. En un mot, l’expression des artistes : il y a de l’air entre l’objet et le fond, quelque rapproché qu’il soit, doit s’entendre par cette autre expression logique : il y a de la distance entre l’objet et le fond. Voyons maintenant les applications de ces principes d’optique.

1° Une miniature est placée devant nous à la distance la plus convenable. Nous la voyons des deux yeux, mais distinguons tout le fini de la peinture. Tout le monde sentira qu’il va là une grande invraisemblance, puisque tous les points de la peinture sont à la même distance de l’œil ou des yeux, et que pour représenter quelque chose de naturel, ces distances devraient différer. Que fait l’artiste pour sauver cet inévitable inconvénient ? Il ombre les parties fuyantes ; il fait, par une diminution de lumière, que l’œil perçoive moins bien ces parties fuyantes, comme il les aurait en effet moins bien perçues à cause de la confusion due à la distance. Seulement, ce n’est pas tout à fait la même chose. Ce qui dans la nature aurait paru confus, mais clair, est rendu dans la miniature par une ombre qui diminue la perception sans produire la confusion, puisque tout est à la même distance de l’œil. Il y a enfin pour la miniature une autre invraisemblance, c’est que les deux yeux ne devraient pas voir exactement les mêmes parties de la figure, que l’œil droit pénètre