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était l’auteur du livre dont j’ai à rendre compte. Ministre de l’Évangile par profession, fabricant de draps ou négociant par nécessité, soldat par occasion et surtout par inclination. Jacques Fontaine est un mélange de contrastes qui, sous la plume de Walter Scott, ferait la fortune d’un roman. Malheureusement notre auteur, comme la plupart des hommes d’action, n’est pas fort habile dans l’art de raconter. On regrette qu’il passe si rapidement sur maints détails qui nous intéresseraient vivement aujourd’hui ; mais il va toujours droit au but avec une concision lacédénionienne, si ce n’est quand parfois il trouve l’occasion de faire un sermon ; alors il se plaît à faire voir qu’il n’a pas oublié son métier de prédicateur. Observons toutefois que nous n’avons qu’une traduction anglaise de ces Mémoires ; selon toute apparence le style de l’auteur a conservé dans sa langue natale quelque chose de l’originalité de son caractère, et voilà ce qu’une traduction n’a pu reproduire. Je fais des vœux pour qu’on publie un jour la version première de Jacques Fontaine dans cette belle langue du XVIIe siècle, non moins admirable dans les mémoires des gens du monde que dans les livres des grands écrivains.

Jacques Fontaine commence l’histoire de sa famille parcelle de son arrière-grand-père, lequel était un gentilhomme du Maine, prenait le dedans les actes qu’il signait, et avait été gendarme dans une compagnie d’ordonnance sous François 1er. Cette situation n’était pas quelque chose de considérable, tant s’en faut ; cependant, riches ou pauvres, tous les gentilshommes commençaient ainsi leur carrière au XVIe siècle. Le gendarme des ordonnances quitta le service pour embrasser la religion réformée dès son apparition en France, et vécut quelque temps au Mans, dans la retraite, d’un petit patrimoine qu’il possédait. Là, en 1563, durant les premières guerres civiles, ou pendant une de ces trêves mal observées qui suspendaient à peine les hostilités entre les deux partis, il fut assassiné avec sa femme, dans sa maison, par une bande de fanatiques, ou plutôt de brigands qui prenaient un drapeau religieux pour piller avec impunité. Ses fils se sauvèrent comme ils purent, et gagnèrent La Rochelle, qui était alors la capitale et la citadelle, des réformés. Le grand-père de Jacques Fontaine, arrivant en cette ville à demi nu, dépourvu de toutes ressources, fut heureux d’être recueilli par un cordonnier qui l’adopta et lui apprit à tailler le cuir. Il y réussit, à ce qu’il parait, et gagna même une petite fortune à faire des souliers. C’était un fort bel homme. Il se maria deux fois, — la seconde fois, étant déjà sur le retour, mais encore vert, et portant bien une barbe grisonnante qui lui couvrait la poitrine. Cela n’empêcha pas que sa seconde féminine voulût l’empoisonner ; on ne dit pas pour quels motifs. La France, dès ce temps-là, on s’intéressait fort aux grands coupables, et les