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faut qu’il obtienne d’abord, comme chez nous, le consentement de l’épouse qu’il a en vue et celui de ses parens ou tuteurs, après quoi il doit faire approuver son union par le voyant, et la femme lui est alors scellée sous la sanction solennelle de l’église. La seconde épouse entre alors dans la maison de son mari absolument sur le même pied que la première ; elle jouit, d’autant de respect et de considération. Ce second mariage peut prendre même le caractère d’un véritable sacerdoce, et dans ce cas il est considéré comme infiniment plus sacré et plus obligatoire une l’union matrimoniale ne l’est dans le monde des gentils. Cela tient à ce que la loi mormonique met le salut futur de la femme dans une dépendance étroite de celui de l’homme. Aucune femme, disent les saints, ne peut atteindre à la gloire céleste sans le mari, ni celui-ci arriver à la plénitude de la perfection dans le monde à venir sans au moins une femme. Plus est donc grand le nombre des épouses qu’un homme peut prendre, plus il fera d’élues, et plus élevé sera son siège dans le paradis. Ces idées expliquent pourquoi la polygamie est désignée chez les Mormons sous le nom de système de la femme spirituelle. Il est digne de remarque que la polygamie fut aussi prêchée par les premiers anabaptistes. Ces excentricités mondes ont été chez eux de peu de durée : elles n’ont point empêché leurs disciples et leurs successeurs d’être des gens de mœurs simples et pures. Il en pourra fort bien être de même des Mormons. Le système de la femme spirituelle, ne constitue pas une partie assez essentielle de leur credo pour qu’ils ne le laissent pas tomber en désuétude, lorsque la politique l’ordonnera. N’est-ce pas ce qui est arrivé pour les Juifs, chez lesquels la loi talmudique a aboli la polygamie, afin de les mettre à l’unisson des peuples chrétiens ? Et en effet des informations datées du 15 juin dernier nous apprennent qu’un schisme s’est opéré chez les Mormons d’Utah. Un grand nombre de ces Mormons qui ont pris la désignation de gladdonistes, du nom de leur chef, repoussent la pluralité des femmes.

Ce qui fait avant tout la force des Mormons, c’est leur énergie colonisatrice ; cette énergie a toujours sauvé leur société près de périr et assure maintenant leur triomphe. Ce sont eux qui les premiers ont exploité les gîtes aurifères, exploitation qui a été une des premières sources de leur prospérité. Ils frappèrent des monnaies d’or à leur titre, portant d’un côté l’œil de Jehovah surmonté d’une espèce de mitre avec cette inscription : Holiness to the Lord, et de l’autre deux mains jointes en signe d’amitié, puis la date et la valeur de la pièce. Cependant les saints du dernier jour ont compris de bonne heure que ce n’était pas dans l’abondance de ce métal que consistait la véritable richesse : ils se sont tournés avant tout vers la culture et l’industrie, et les progrès qu’ils y ont faits sont vraiment extraordinaires. La propreté, l’élégance de leurs maisons, chacune entourée d’un jardin et pourvue de tous les ustensiles et de tous les bestiaux nécessaires, frappent le voyageur qui tombe dans l’oasis de Déséret. Il y a deux ans, la ville comptait plus de six mille âmes et sept mille aux environs, tant au nord, du côté de la rivière Weber, qu’au sud, vers le lac d’Utah ou Salé, dont les rives sont à environ neuf milles de la ville. Le reste de la population est distribué dans tout le territoire. Les Mormons sont déjà parvenus à y introduire plusieurs de nos arbres fruitiers, les pommiers et les pêchers. Les vêtemens