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mettre d’accord, l’irritation naturelle et légitime qu’éprouvaient les Anglais de ce traitement fait à des étrangers, devinrent pour lui la source de difficultés sérieuses. Ces tracasseries misérables, qui entravèrent plus d’une fois les plus importantes affaires, ne sont pas la moins triste page de l’histoire de ce grand prince. Il y paraît singulièrement rapetissé, et lorsqu’on on lit les détails, soit dans sa correspondance, soit dans les mémoires du temps, on se rappelle malgré soi Catherine II s’efforçant tout aussi vainement de concilier le comte Orloff avec le prince Potemkin. L’histoire pleine d’indulgence pour les entraînemens des âmes naturellement bienveillantes, a peut-être le droit de juger avec plus de sévérité celles qui, n’ayant pour l’humanité en général que sécheresse et rudesse, portent dans quelques affections intimes une faiblesse où l’on ne peut plus voir que le résultat de préférences égoïstes.

Guillaume, peu habile à dissimuler l’antipathie qu’il ressentait pour le peuple anglais en général, ne savait pas mieux cacher son impatience des obstacles que les institutions parlementaires, pratiquées par des chambres factieuses, opposaient à son autorité, et qui l’arrêtaient souvent dans l’exécution de ses plus utiles projets. Ce n’est pas qu’il désirât précisément le pouvoir absolu ; il était trop éclairé, il comprenait trop bien les nécessités de sa situation, pour le croire possible, et à certains égards même, par exemple en ce qui concerne les questions de liberté religieuse, les tendances libérales de son esprit allaient au-delà de ce que comportaient les lumières et les passions du temps. Il était né, il avait été élevé dans une république ; mais, habitué aux libertés municipales de la Hollande, à cette organisation d’états où des assemblées peu nombreuses délibéraient secrètement, avec calme et maturité, sur les intérêts du pays, il se sentait mal à l’aise en présence d’un parlement agité de toutes les passions du dehors, souvent modifié, dans son élément le plus puissant et le plus essentiel, par le mouvement des élections populaires, et dont les discussions et les votes, à raison du grand nombre de personnes qui y prenaient part, avaient déjà une véritable publicité de fait, bien qu’il fût encore interdit aux journaux d’en rendre compte. Guillaume d’ailleurs, populaire et presque tout-puissant, dans les Provinces-Unies sous la modeste dénomination de stathouder, s’irritait des soupçons, des défiances injurieuses, des tracasseries de toute espèce dont la pompe du titre royal ne le préservait pas en Angleterre. Il ne pouvait guère manquer de considérer les Hollandais comme le seul peuple apte à la liberté par sa flegmatique circonspection, la constitution des Provinces-Unies comme la seule qui mît dans un équilibre durable les droits d’un peuple libre avec les nécessités du pouvoir, et la nation anglaise, avec ses institutions et son caractère