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Somers, si ferme à d’autres égards, l’un des auteurs principaux de la révolution de 1688, s’exprime, à ce sujet, avec l’accent du plus profond découragement sur l’état moral du pays. Après avoir dit qu’on redoute la puissance supérieure de la France et qu’on se défie de sa sincérité, il ajoute : « Néanmoins, quant à ce qui regarde l’Angleterre, je croirais manquer à mon devoir, si je laissais ignorer à votre majesté que l’esprit public, est si complètement, si universellement mort dans cette nation, qu’il serait impossible de la décider à une nouvelle guerre, et que le fardeau des impôts lui a laissé une fatigue, un épuisement qu’on ne pouvait soupçonner avant les dernières élections. » Le chancelier en conclut, au nom du conseil, que bien qu’on voie de grands inconvéniens aux exigences de la France, comme il n’est pas probable qu’elle s’en désiste, on ne peut que s’en rapporter au roi pour tirer des circonstances le meilleur parti possible, et que, s’il réussissait à obtenir en faveur de l’Angleterre quelque avantage commercial, on lui en aurait la plus grande reconnaissance.

Le secrétaire d’état Vernon n’est pas moins explicite dans sa correspondance avec lord Portland. Avant même que le conseil en ait délibéré, il exprime la conviction que le ministère et le parlement se montreront satisfaits de tout arrangement qui, en évitant une guerre pour laquelle on est si mal disposé, soustraira la péninsule espagnole et les Indes à la domination française. « Les membres du conseil, dit-il, voient très bien que le but de la France est de s’étendre partout sur les côtes, d’augmenter sa puissance par mer, de devenir maîtresse absolue du commerce de la Méditerranée et du Levant : mais ils ne pensent pas que nous soyons en mesure de faire une nouvelle guerre, ni capables de la pousser comme la précédente. Leur avis est donc que, tout balancé, ce que l’Angleterre a de mieux à faire, c’est de travailler à obtenir, s’il se peut, une transaction satisfaisante. » La politique de la Grande-Bretagne était alors, comme on voit, bien éloignée de la hauteur et de la fermeté qu’elle avait eue jadis sous Cromwell, qu’elle devait retrouver un jour sous les Chatham, les Pitt et leurs heureux successeurs.

Le chancelier ayant envoyé au roi, en vertu de la décision du conseil, des pleins pouvoirs dans lesquels on avait laissé en blanc les noms des commissaires chargés de négocier avec la France, le traité fut enfin signé au Loo, le 24 septembre 1698. Quelques semaines plus tard, on en échangea les ratifications. On était convenu de le tenir secret jusqu’à la mort du roi d’Espagne ; mais il est facile de comprendre combien un tel secret, sur une question d’un intérêt si universel, et qui tenait tous les esprits en suspens, était difficile à garder. Aussi commençait-on, à Vienne et à Madrid, à en avoir quelque