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REVUE DES DEUX MONDES.

— Eh bien ! oui, dit Protat, c’est gentil. Et il se retourna du côté de Zéphyr, auquel il parlait d’un ton déjà radouci.

— Ce n’est pas seulement gentil, répondit Cécile, qui avait examiné ce travail improvisé, c’est un petit chef-d’œuvre, et pour avoir pu faire cela en aussi peu de temps, il faut que votre apprenti soit un artiste véritable.

— Bah ! répliqua le sabotier, à quoi ça peut-il être utile ?

Et Adeline, qui à son tour admirait l’œuvre de Zéphyr avec une admiration naïve, interrompit son père : — Tout ce qui est beau est utile d’une certaine façon ; mais bien des choses utiles ne sont belles d’aucune, dit la jeune fille.

Complimenté par tout le monde et même par son maître, que sa fille avait forcé à se rendre à l’évidence, flatté par Cécile, qui mêlait à ses louanges ces câlineries féminines qui exercent une si grande influence sur l’amour-propre, Zéphyr subissait pour la seconde fois dans cette journée l’assaut de L’orgueil. Pendant que Lazare expliquait au sabotier qu’il était nécessaire, dans l’intérêt futur du jeune garçon, qu’il vînt à Paris, ayant soin d’ajouter que Zéphyr n’aurait aucune dépense à faire, — l’apprenti, dont l’imagination allait en avant, s’enivrait au son des paroles qui lui promettaient un avenir de gloire et de fortune, Adeline, de son côté, regardait Lazare, dont le geste et la parole s’animaient toutes les fois qu’il parlait de sa profession, et dans cette attention de sa jeune amie, Cécile, qui l’observait, crut bien remarquer que ce n’était pas seulement la curiosité qui rendait Adeline aussi attentive. La jeune fille, en effet, était sous le charme de la voix de Lazare. Les raisons que faisait valoir l’artiste en faveur de Zéphyr rencontrèrent enfin un écho chez Protat lui-même.

— Eh bien ! mon garçon, dit Protat à son apprenti, c’est convenu : puisque M. Lazare prétend que tu pourras y devenir quelque chose, tu iras à Paris. Tâche de faire un jour fortune avec tes petits talens, et si tu deviens plus tard un grand homme, rappelle-toi ton père adoptif, qui t’aura appris un bon état.

— Comment donc ça ? fit Zéphyr.

— Dame ! sans doute… n’es-tu pas mon élève ?

Comme le dîner était achevé depuis longtemps, toute la compagnie sortit pour prendre l’air dans le jardin. C’était la fin de l’un des jours les plus brûlans de l’année. L’air, attiédi par les haleines du soir et le voisinage de la rivière, s’imprégnait des arômes de certaines fleurs qui semblent conserver leur parfum pour la nuit, comme le rossignol, qui réserve ses plus beaux chants pour l’heure des étoiles. Sur les eaux du Loing, claires, rapides et murmurantes, flottait une vapeur blanche et légère que la naissante clarté du croissant de la