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surtout de la part de Guillaume, un sentiment de défiance et d’inquiétude que les antécédens n’expliquent que trop. Le roi d’Angleterre, en traitant ainsi avec la France, courait certainement de grands risques : comme il l’écrivait à lord Portland en le chargeant de faire valoir les concessions auxquelles il se prêtait, les engagemens qu’il prendrait avec Louis XIV le mettraient en état de rupture avec ses anciens alliés, et désormais il ne pourrait plus compter que sur la France. Louis XIV s’efforçait, par des protestations bienveillantes et par des raisonnemens spécieux, de le rassurer, de lui prouver qu’il trouverait dans l’alliance de la France des avantages qu’aucune autre ne pourrait lui procurer. — L’Autriche, lui faisait-il dire, était dans une telle situation financière, que si elle se trouvait engagée dans une coalition avec l’Angleterre, elle lui demanderait nécessairement des subsides, et le parlement ne les accorderait certainement pas, à moins qu’il ne s’agît de quelque intérêt national bien évident. L’alliance avec la France au contraire, sans imposer à Guillaume de pareils sacrifices, assurerait et consoliderait sa position en Angleterre même, parce que ses ennemis ultérieurs, ne pouvant plus compter sur un appui étranger, abandonneraient forcément leurs projets ; les deux rois, sincèrement unis, deviendraient les arbitres de l’Europe, qui serait bien obligée de se conformer à leurs volontés.

Malgré ces avances, on pourrait dire malgré ces coquetteries réciproques, rien ne se terminait. Louis XIV, encouragé par les embarras de la situation de Guillaume, à qui un parlement presque factieux refusait les moyens de maintenir un état militaire tant soit peu respectable, et par l’indifférence que le peuple anglais manifestait pour tout ce qui se rapportait à la politique extérieure, semblait parfois vouloir devenir plus exigeant. Fier du sentiment de ses forces, sachant qu’en Espagne un parti puissant se prononçait pour appeler au trône un des fils du dauphin, il donnait à entendre qu’il pourrait tenter cette chance, si on ne lui accordait pas des conditions raisonnables. Il n’est pas étonnant que les dissensions intérieures de l’Angleterre et les symptômes de cet épuisement moral qu’éprouvent passagèrement les peuples les plus énergiques à la suite de longues révolutions aient fait illusion à un monarque absolu, peu familiarisé avec les conséquences et les abus de la liberté. Guillaume lui-même, qui aurait dû mieux comprendre un tel état de choses, se laissait souvent aller à de tels accès de découragement, qu’il se croyait condamné, par la folie de la nation anglaise, à une entière impuissance. Sa correspondance exprime à plusieurs reprises la conviction que, même en présence des tentatives les plus audacieuses auxquelles pourrait se porter l’ambition française, dut-elle violer les engagemens les plus positifs, il ne serait pas possible de persuader aux Anglais de s’y