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auparavant, avait mis leur république dans un si grand danger, tout ce qui tendait à augmenter la puissance ou la grandeur du monarque français irritait à la fois leur rancune et les remplissait de terreur. Guillaume, après avoir consulté le, grand-pensionnaire Heinsius, qui, en son absence, exerçait la principale autorité dans les Provinces-Unies et qui avait toute sa confiance, dut reconnaître l’impossibilité d’amener les états-généraux à entrer dans un arrangement par lequel un prince français aurait été placé sur le trône des Espagnes. Louis XIV lui-même sentit bientôt qu’il serait inutile d’insister dans ce sens, et comme, dès le principe, il avait laissé le choix au roi d’Angleterre entre cet arrangement et celui qui consistait à donner l’Espagne et les Indes au prince bavarois, en enrichissant la France de quelques-unes des possessions léguées par Charles-Quint à sa postérité, c’est sur cette dernière base que s’établit la négociation.

Là aussi se présentaient de nombreuses difficultés. La France, en demandant pour sa part, avec les Deux-Siciles, le duché de Luxembourg, avait voulu couvrir la sente de ses frontières qui, malgré les conquêtes de Louis XIV, ne fût pas encore suffisamment protégée ; mais les Hollandais, repoussant avec colère, avec effroi, la pensée d’un agrandissement qui eût encore rapproché de leur territoire la puissance française, prétendaient au contraire lui faire acheter les avantages qu’elle obtiendrait dans d’autres contrées par la cession de quelques places de la Flandre, qui, suivant eux, depuis que les derniers traités les avaient mises entre nos mains, compromettaient la sûreté de la république. De part et d’autre, on était bien décidé à ne rien céder de ce côté. On ne tarda pas à comprendre que le maintien du statu quo était la seule base sur laquelle, il lut possible de tomber d’accord. Cette difficulté écartée, celles qui restaient à vaincre étaient comparativement peu considérables. Il ne s’agissait plus guère que de régler la proportion un peu plus ou un peu moins forte des possessions territoriales qui seraient accordées à la France dans des régions où il ne pouvait résulter de cette concession aucun danger sérieux pour l’équilibre européen.

Cependant, malgré l’immense intérêt qu’on avait à terminer la négociation avant que la mort toujours imminente de Charles II fît éclater la crise que l’on voulait prévenir, plusieurs mois s’écoulèrent encore en pourparlers, en contre-propositions, en incertitudes. La nécessité où se trouvait Guillaume III de sonder à chaque instant les sentimens des Provinces-Unies, toujours si mal disposées envers la France, et de s’assurer leur concours, contribua beaucoup à ces retards, mais n’en fut, je crois, ni la seule ni la principale cause. En lisant la correspondance des deux rois avec leurs agens, on voit, à travers leur sincère désir de se mettre d’accord, percer sans cesse,