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différentes, ne l’a pas pu davantage. De tels exemples disent assez qu’il y a là un obstacle auquel les gouvernemens nouveaux doivent se résigner, en comptant, pour l’aplanir peu à peu, sur le bénéfice du temps, sur les progrès de leur consolidation, et sans essayer d’en triompher prématurément soit par des exigences hautaines, soit par un excès de condescendance, qui seraient également impuissans.

De telles préoccupations s’effacent d’ailleurs dans les esprits élevés devant les grands intérêts, et jamais peut-être on n’en a vu de plus grands que celui qui poussait alors Louis XIV et Guillaume III à se rapprocher l’un de l’autre, — je veux dire l’arrangement pacifique de la question imminente de la succession espagnole. C’était là, en ce moment, l’objet des craintes, des espérances, des calculs de tous les cabinets ; mais ces deux princes paraissaient seuls en mesure d’exercer une influence efficace sur la solution de la question, comme seuls aussi, au milieu des passions aveugles qui agitaient les autres gouvernemens, ils étaient capables d’en bien peser les immenses difficultés et de comprendre la nécessité d’y porter de grands tempéramens pour ne pas précipiter l’Europe dans un abîme de maux.

Avant d’en venir à des explications tout à fait catégoriques sur les dispositions qu’il convenait de prendre à cet effet, les deux rois essayèrent de sonder leurs intentions réciproques. Chacun d’eux craignait de se compromettre en se découvrant trop tôt. Louis XIV se décida enfin à prendre l’initiative. Il chargea le comte, depuis maréchal, de Tallanrd, son ambassadeur à Londres, de proposer à Guillaume un projet d’arrangement fondé sur une alternative. — Suivant le premier terme de cette alternative, le roi d’Espagne venant, comme tout l’annonçait, à mourir sans laisser d’enfans, le prince électoral de Bavière, son plus proche héritier naturel après le dauphin, aurait eu l’Espagne proprement dite, les Pays-Bas, la Sardaigne, les Indes et les Philippines ; les Deux-Siciles eussent été, avec le duché de Luxembourg, la part du dauphin, et le duché de Milan, celle de l’archiduc Charles, second fils de l’empereur, depuis empereur lui-même sous le nom de Charles VI. — Si ce partage ; ne convenait pas au roi d’Angleterre, on lui offrait cette autre combinaison : un des fils cadets du dauphin devait hériter de l’Espagne et des Indes ; les Pays-Bas auraient appartenu au prince bavarois, les Deux-Siciles à l’archiduc, le Milanais au duc de Savoie, qui avait aussi quelques prétentions éloignées sur la succession de Charles II. Il était bien entendu que, dans cette seconde hypothèse, la masse principale de la monarchie espagnole assignée à un prince de la maison de Bourbon devait être possédée par un de ses membres qui ne fut pas en même temps roi de France, tandis que, si le dauphin était seulement appelé à recueillir quelques portions détachées de