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de son estime pour Guillaume. Quant aux insinuations qui avaient trait à l’appui que les deux princes pouvaient se prêter contre leurs ennemis intérieurs, il les écarta avec une raideur dédaigneuse, disant qu’il n’y avait pas à cet égard parité de situation, et que la soumission de ses sujets, la tranquillité de son royaume, ne lui donnaient lieu de craindre ni l’action, ni rébellion. Celà eût été parfaitement exact quelques années auparavant ; mais déjà à cette époque la révocation de l’édit de Nantes et les proscriptions qui la suivirent avaient jeté dans les provinces méridionales de la France des semences d’agitation que ne devaient pas tarder à porter des fruits bien amers. Il n’en est pas moins vrai que Louis XIV était parfaitement autorisé à ne pas redouter pour son compte les périls qui menaçaient la puissance de Guillaume, sortie d’une révolution si récente, et sa fierté s’indiquait, de l’assimilation qu’eut paru établir entre les deux couronnes l’espèce de garantie mutuelle qu’on lui proposait. Il vivait d’ailleurs très distinctement le but de cette proposition : Guillaume eût voulu qu’au moment du rétablissement de la paix Jacques II fut forcé de quitter Saint-Germain pour se retirer dans quelque contrée éloignée, Louis XIV s’y refusa d’une manière absolue, déclarant qu’aussi longtemps qu’il conviendrait à ce malheureux prince de rester dans l’asile qu’il lui avait accordé, cet asile lui serait maintenu. Guillaume n’insista pas pour le moment.

Comme cependant le roi d’Angleterre tenait beaucoup à se délivrer des inquiétudes que lui causait le foyer de conspiration permanente établi à Saint-Germain, il revint à la charge après la signature du traité de Ryswick. Le comte de Portland, son ambassadeur en France, fit auprès des ministres, auprès du roi lui-même, des démarches multipliées qui n’eurent aucun succès, bien qu’il y portât une grande ténacité. Guillaume crut bientôt devoir réprimer cet excès de zèle, parce que son esprit plus clairvoyant ne tarda pas à comprendre qu’en s’opiniâtrant inutilement sur ce point, on risquerait de compromettre des intérêts plus importans encore. Il craignait d’ailleurs de n’être pas suffisamment soutenu dans cette question par le sentiment public de l’Angleterre. « Le refus de sa majesté très chrétienne, écrivait-il au comte de Portland, ne fera pas ici le moindre effet sur les esprits, car à présent rien ne semble capable de réveiller chez ces gens-ci la préoccupation de leur sûreté. Ils sont si infatués, qu’à moins d’une invasion effective, ils fermeront les yeux à tout danger. » Ce passage, et bien d’autres analogues que l’on trouve dans la correspondance du roi d’Angleterre avec ses ministres confidentiels, peignent très bien cet état d’indifférence, d’affaissement apathique, où les nations tombent parfois à la suite des longues périodes de révolutions et de guerres, et que l’on prend pour la mort de tout esprit